« Le sorcier oublie mais les parents de la victime n’oublient jamais. »
22 avril 2009
Mon travail à l’UGCPA/BM de Dédougou
Bonjour à vous tous et toutes de partout à travers le monde.
Je suis au Burkina depuis plus de 8 mois et vous ne savez toujours pas ce que je fais ici ? En effet, jusqu'à maintenant, je n’ai pas beaucoup parlé de travail, peut-être parce que moi-même je ne savais pas trop ce que je faisais !! Mais ça y est, je me suis retrouvée et je peux maintenant m’entretenir sur ce que je tente d’accomplir ici, à l’Union des Groupements pour la Commercialisation des Produits Agricoles de la Boucle du Mouhoun : tout un nom !!! On va simplifier en disant l’UGCPA ou simplement l’Union.
Cette Union a été fondée en 1993 par l’UPA Développement International (oui oui, notre Union des Producteurs Agricoles du Québec section internationale). Il est à noter que l’ACDI (Agence Canadienne de Développement International) s’est retirée comme bailleur de fonds depuis 2003 et que l’UPA a dû quitter tout en restant partenaire technique réalisant annuellement quelques missions ponctuelles. Mon Union a comme mission de commercialiser collectivement les produits cultivés par ses membres, soit les céréales (maïs, sorgho, mil, fonio) pour les hommes et le bissap’s biologique pour les femmes. Nous avons environ 350 producteurs céréaliers membres et plus de 1000 productrices de bissap’s.
fleurs séchées de bissap’s avec une tige en haut de fleurs fraîches |
fleur fraîche de bissap’s |
L’Union est gérée par des productreurs/trices qui sont élus démocratiquement. Cette Union est un superbe exemple de démocratie et j’en suis témoin, ayant participé à la 15e Assemblée Générale (AG) en octobre dernier où le bureau exécutif a été renouvelé dans le stricte respect du règlement intérieur de l’Union.
Bureau exécutif sortant de l’AG d’octobre 2008
La filière céréales et la filière bissap’s sont organisées un peu différemment au niveau de l’Union. Je vais vous décrire succinctement ces fonctionnements.
La filière des céréales
Les producteurs de céréales sont regroupés dans leurs villages dans ce qu’on appelle des GPA, des groupements de producteurs agricoles. Les GPA sont regroupés dans 7 cadres de concertation centrés sur la petite ville principale (ou gros village, tout dépendant de nos références !!) de la région. À ces 2 niveaux, des règles ont été mises en place et doivent être respectées. Par exemple, un GPA doit livrer annuellement au minimum 20 sacs de céréales sinon il sera suspendu pour une année. Des producteurs sont aussi responsabilisés à ces 2 niveaux. Par exemple, un producteur leader élu doit être présent pour les pesées des sacs de céréales dans son cadre de concertation et il doit s’assurer que le poids de chacun des sacs est de 102 kg ; les producteurs leaders reçoivent des primes pour les sacs qui sont passés dans son centre de concertation de façon à l’encourager à motiver les membres de sa région de livrer leurs céréales.
En début de saison, des enquêteurs des GPA passent voir chacun des producteurs afin d’estimer combien de sacs chacun pourra commercialiser avec l’Union. Le producteur estime le nombre de sacs qu’il obtiendra si tout va bien par rapport à sa superficie cultivée et par type de céréale : maïs jaune, maïs blanc, sorgho rouge, sorgho blanc et petit mil. De ce total, on déduit 3 sacs par personne que le producteur doit nourrir pour l’année. Finalement de ce qui reste, le producteur peut dire combien de sacs il désire commercialiser avec l’Union ; un contrat est signé. Vers la fin de la saison de culture, les enquêteurs refont des visites pendant lesquelles les producteurs s’engagent définitivement pour un nombre de sacs selon la qualité de la saison. Si un cas de fléau se présente (inondation, criquets, sécheresse), ils doivent être déclarés et ainsi le producteur sera autorisé à livrer moins que ce qu’il avait prévu au départ.
Les producteurs sont catégorisés (catégorie 1, 2 ou 3) et pour chacune des catégories les avantages varient. Pour être de première catégorie et avoir droit à tous les avantages de l’Union, le producteur doit livrer au moins 70 % de ses engagements définitifs (excluant les cas de fléau). Les principaux avantages auxquels ont droit les producteurs sont 1- un paiement anticipé (PA1) au moment des semis de 2000 francs par sacs qu’il s’est engagé à livrer, 2- un paiement anticipé (PA1bis) au moment des récoltes de 2000 francs par sac, 3- depuis l’année dernière, les producteurs ont droit à un crédit pour l’achat d’engrais minéraux, 4- divers types de formation, par exemple sur la fabrication de fosses fumières ou sur les activités post-récolte (entreposage, lutte contre les insectes, etc.).
Au moment des récoltes (soit environ vers novembre), un prix des céréales, appelé ‘prix à la récolte’, est fixé par le comité spécialisé céréales selon les prix que l’on retrouve sur le marché et la tendance prévue pour la saison dans la région, dans le pays et dans l’ouest africain. Par exemple, ce prix cette année était de 7200 francs par sac de 102 kg. Ensuite vers janvier, un 2e prix est fixé, ‘prix de cession’, qui sera généralement plus élevé que le prix à la récolte et qui ainsi se rapprochera plus du prix final auquel l’Union vendra les céréales ; ce prix était de 12 000 francs par sac cette année. Un producteur qui livre ses sacs à la récolte recevra donc 7200 francs par sac mais aussitôt que le prix de cession sera fixé, il recevra un réajustement, dans ce cas-ci de 4800 francs. Après la collecte de tous les sacs, qui se termine le 31 mars, les sacs peuvent être vendus. L’Union cherche des clients et répond à des appels d’offre. Par exemple, l’an dernier, l’Union a répondu à 2 appels d’offre : de la SONAGESS (Société Nationale de GEstion des Stocks de Sécurité alimentaire) et du PAM (Programme Alimentaire Mondial).
Les 4 entrepôts de l’UGCPA |
Entreposage des céréales avec Madi le chauffeur |
Déchargement des céréales : il porte 2 sacs de 100 kg sur ses épaules !! |
Des producteurs/trices impliqués dans l’Union |
Finalement une fois que toutes les céréales sont vendues, les bénéfices obtenus sont répartis entre l’Union et les producteurs : 35 % iront pour le fonctionnement de l’Union et 65 % sont répartis selon les volumes livrés entre les producteurs.
L’Union possède depuis l’an dernier des entrepôts où les céréales collectées sont entreposées avant la vente finale. Ces magasins ont été financés par des bailleurs de fonds canadiens : les Œuvres du Cardinal Léger, le CECI, l’ACDI et la Fédération des producteurs de cultures commerciales du Québec. Si vous entrez dans les entrepôts, vous pourrez voir les sacs de 100 kg empilés et tous identifiés par numéro de façon à pouvoir retracer le producteur qui a livré le sac en question. Les normes de qualité, de quantité (100 kg assurés par sac) et de traçabilité sont une règle à l’Union, ce qui est très rare au Burkina.
Je vous évite tous les détails de fonctionnement pour le suivi des activités, les livraisons dans les cadres de concertation puis dans les magasins, le suivi des pesées, etc. Une réglementation très précise est appliquée et elle ne peut être modifiée qu’en assemblée générale, soit une fois par année.
La filière bissap’s
Les productrices sont regroupées dans 26 GPA situés dans 3 cadres de concertation. Deux animatrices (Zihan et Pelé) sont sur le terrain au village et animent et gèrent différentes activités dans 2 cadres de concertation. Un agent de développement, Marcel, qui est aussi animateur du 3e cadre, gère la filière, contacte et négocie les ventes avec les clients, s’occupe des paiements aux productrices, etc.
Marcel, agent de développement bissap’s au siège de l’UGCPA |
Pelé et Zihan, les 2 animatrices devant le panneau annonçant le site des entrepôts |
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Étant donné que le bissap’s est produit biologiquement, le travail des productrices est nécessairement suivi de près. Des productrices sont responsabilisées pour former les membres de leur GPA sur l’itinéraire technique, la récolte, le décorticage, le séchage, le triage et l’entreposage des fleurs de façon à respecter la certification bio.
Les femmes ne s’engagent pas en terme de sacs à livrer, comme les producteurs, mais en terme de superficie qu’elles cultivent ‘pour l’Union’. Cette parcelle sera suivie et inspectée par une animatrice, une productrice responsable ou l’enquêteur de la certification, pour s’assurer de la bonne qualité des fleurs. Le règlement dit qu’elles ne doivent pas vendre leur production ailleurs qu’à l’Union une fois qu’elles se sont engagées, sauf pour les fleurs qui seront déclassées parce qu’elles sont tachetées et ne satisfont donc pas les critères de la production biologique. Les femmes ont aussi droit à un paiement anticipé de 2000 francs par sacs estimé de production au moment des récoltes. Un prix est fixé en janvier pour payer les productrices après les collectes, par exemple de 700 francs par kg pour cette année. Finalement tout comme pour les hommes, une fois les fleurs vendues, une ristourne sera donnée aux productrices : 35 % iront pour le fonctionnement de l’Union et 65 % seront répartis équitablement entre les productrices.
Labour avec les bœufs et semis du bissap’s |
Pesée des sacs de bissap’s : chaque sac identifié avec le code de la productrice doit peser 13,2 kg
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Nettoyage du bissap’s avant l’ensachage des fleurs |
Pelé avec les sacs entreposés de bissap’s |
Rosanne à l’UGCPA
Alors qu’est-ce que je fais ici ?? Pendant plusieurs mois, je n’avais pas de rôle très précis. Avec Ingénieurs sans Frontières (ISF), beaucoup d’importance est donnée à l’intégration dans la structure d’accueil et au développement d’un bon niveau de confiance avec ses collègues. Des séjours au village chez les producteurs/trices doivent aussi être faits afin de comprendre les réalités rurales (conditions de vie et de travail) et les besoins des gens pour qui on travaille. Parce que mon réel patron, ce n’est pas l’UGCPA ou ISF, ce sont les productrices et les producteurs. Chez ISF, on dit que notre patron c’est ‘Dorothée’, un nom qui incarne les producteurs/trices vulnérables qui ont besoin d’un peu d’aide pour améliorer leurs conditions de vie. Si je suis ici, c’est pour travailler à leur donner une chance de plus de s’en sortir.
J’ai donc passé mes premiers mois à participer à toutes les activités que je pouvais et à poser autant de questions que possible pour comprendre ce qui se passait autour de moi : assister les animatrices pendant des formations qu’elles donnaient à des productrices, participer à des descentes terrain pour annoncer la tenue de l’assemblée générale pour octobre, préparer la présentation Power Point de l’assemblée générale, participer aux rencontres mensuelles de l’équipe, rédiger le rapport des activités de l’an dernier concernant une subvention d’un bailleur de fonds, collaborer à une demande de subvention pour la prochaine campagne agricole, participer aux visites de bailleurs de fonds, participer à certains travaux des champs chez des productrices (semis, sarclage), entrer des données concernant les productrices de bissap’s sur Excel, etc. etc.
Le principe de base était donc de mieux comprendre le fonctionnement de l’Union, d’identifier des difficultés rencontrées, d’apprendre à connaître les producteurs/trices, de bâtir un bon niveau de confiance à l’Union pour ensuite travailler à un projet de changement précis. Mes activités sont donc maintenant concentrées dans 2 grands domaines.
le suivi-appui-conseil (S-A-C)
L’Union aimerait que la filière bissap’s au sein de l’Union devienne autonome financièrement. Pour atteindre cet objectif, il faudrait que plus de fleurs de bissap’s soient commercialisées. L’augmentation de la production peut se faire en augmentant le nombre de productrices et/ou en augmentant la quantité produite par chacune des productrices. Depuis 1,5 an, plus de responsabilités sont données à des productrices afin de libérer du temps pour les animatrices : c’est ce qu’on appelle le Suivi-Appui-Conseil (SAC). Le temps que les animatrices auront en plus leur permettra d’appuyer de nouveaux groupements ou de mener de nouvelles activités, toujours dans l’optique d’en arriver à augmenter la production. Transférer des responsabilités et des compétences aux productrices sur le terrain n’est pas nécessairement chose facile à réaliser. Les productrices sont souvent analphabètes et ont énormément de travail au sein de leur famille (préparer les repas, s’occuper des enfants, travailler dans les champs de leur mari, etc. Évidemment il faut se rappeler que tout est fait à la main ici. On lave les vêtements à la main, on va puiser l’eau au puits, il n’y a pas d’électricité, on fait tous les travaux des champs à la main (semis, sarclage, binage, récolte), on prépare les repas à partir des produits bruts : grains de mil, de sorgho, les feuilles de baobab, etc.). Je remarque aussi que culturellement, les femmes n’ont pas l’habitude de parler, de donner leur opinion en présence des hommes et les jeunes femmes ne parlent pas beaucoup devant les plus vieilles qui ont plus d’autorité.
Dans ce contexte, l’Union m’a demandé de travail sur l’évaluation et l’amélioration du SAC, le transfert de responsabilités vers les productrices. Je travaille donc actuellement avec Zihan, Pelé et Marcel pour évaluer le travail des responsables qui a été réalisé cette année, identifier les difficultés rencontrées et trouver des solutions, améliorer les outils utilisés, etc. Donc par exemple, nous avons créé des questionnaires pour faire des enquêtes auprès des productrices afin d’évaluer la qualité du travail des animatrices et des productrices responsables. Aujourd’hui-même, nous sommes allés rencontrer le groupement de productrices de Dédougou afin de tester notre questionnaire. Nous avons aussi passé en revue le modèle de rapport que les animatrices doivent remplir mensuellement. Nous avons essayé de l’améliorer, de supprimer les sections qui ne servaient à rien et d’en ajouter de nouvelles pour le compléter. Nous avons aussi rédigé un guide des meilleurs pratiques des animatrices afin de valoriser leurs compétences et connaissances et ce guide pourrait être utilisé pour aider de futures animatrices. Voilà donc le genre de travail que je réalise en ce moment au niveau du SAC. Les enquêtes chez les productrices vont se poursuivre dans les prochaines semaines, ce qui est très intéressant (j’adore aller sur le terrain !!).
Moi au milieu des femmes de Konankoïra lors d’une rencontre
le Conseil à l’Exploitation Familiale (CEF)
Avec l’équipe d’Ingénieurs sans Frontières qui travaille dans le domaine de l’Entreprenariat Rural Agricole (ERA), suite à une rencontre que nous avons eue avec tous nos partenaires du Burkina, nous avons décidé de centrer nos activités sur le Conseil à l’Exploitation Familiale (CEF). Le CEF, c’est une approche qui met un producteur/trice en contact avec un conseiller qui l’aide à avoir une vision globale des activités de son exploitation afin d’analyser leur situation, de prévoir et de prendre des décisions éclairées et raisonnées et d’évaluer leurs résultats. Je pense qu’actuellement les producteurs/trices du Burkina (et je dirais même les burkinabès en général !) ont du mal à gérer. Par exemple les producteurs ne connaissent souvent pas les coûts d’exploitation de chacune de leur culture et leur marge finale de profit. Est-ce que le plus rentable c’est du cultiver le coton qui utilise énormément d’engrais qui coûte cher ou de faire des arachides qui demandent beaucoup moins de travail et en général pas d’engrais ? Évidemment on ne veut pas que les producteurs commencent à cultiver tous la même culture mais on voudrait qu’ils arrivent à décider quelles cultures ils vont produire et sur quelle superficie en ayant bien en tête quels sont les risques et les avantages de faire ces choix. J’ai vu par exemple des productrices dirent qu’elles ne voulaient pas cultiver plus de bissap’s parce que les charges de production augmenteraient. C’est vrai que les charges augmenteront mais les profits devraient aussi augmenter. S’il est rentable de faire du bissap’s sur 0,5 hectare, le profit sera doublé si tu cultive 1 hectare au complet. Le CEF forme les producteurs pour qu’ils comprennent mieux ce qui se passe sur leur exploitation afin de prendre de meilleures décisions de production et de gestion.
Nous mettrons donc en place à l’UGCPA du CEF chez un échantillon de producteurs et éventuellement aussi chez un échantillon de productrices. Vous pouvez imaginer que de mettre en place ce nouveau service demande du temps et de l’argent. Beaucoup de réflexion doivent être faites car le CEF peut être très large et porter sur plusieurs domaines (gestion des greniers, gestion de la trésorerie, le financement de l’exploitation, accès aux intrants et à la commercialisatio, etc.). Il y a déjà des organisations paysannes qui font depuis plusieurs années du CEF au Burkina et nous avons des volontaires qui travaillent avec eux. Je vais vous donner un exemple concret de ce que le CEF a pu apporter à certains producteurs.
Des producteurs de la Fédération Nationale des Groupements Naams ont décidé de modifier leur production de pommes de terre afin de pouvoir les vendre au moment des fêtes de fin d’année où les prix sont largement plus élevés qu’à la période traditionnelle où elles sont disponibles. Pour cela, ils ont dû expérimenter l’utilisation et la conservation des semences locales puisque les semences importées arrivaient trop tard dans l’année pour pouvoir atteindre leur objectif. Ce cas de figure implique de relever plusieurs défis mais les producteurs ont usé d’ingéniosité pour y arriver. C’est l’approche de CEF qui leur a permis de réfléchir à cette nouvelle stratégie de production et de commercialisation qui leur a finalement permis d’augmenter leur marge brute de profit de près de 70 %. |
Bon, je pourrais vous donner plein d’exemples et discuter très longtemps de CEF puisqu’en ce moment je suis en plein dedans. Ceux que ça intéresse, tenez-moi au courant !! Pour les autres, je vais m’arrêter ici. Mais vous comprenez que je suis hyper motivée par la mise en place de cette approche qui, je crois et je l’espère, aidera les producteurs/trices à mieux gérer leurs activités agricoles. Nous avons en ce moment une subvention pour mettre en place ce CEF chez les hommes. Par contre, il n’y a encore rien de concret et d’officiel pour les femmes. Je travaille à un document pour faire une demande de subvention à un de nos bailleurs de fonds actuels. En parallèle, au cas où ça ne fonctionnerait pas avec le bailleur pour cette année, je fais aussi une demande à un petit fond d’innovation d’ISF pour m’assurer qu’on pourra avoir un peu d’argent pour offrir le service à une quinzaine de femmes cette année. Les résultats obtenus pourraient nous permettre de faire une demande de subvention pour l’an prochain basée sur des résultats obtenus cette année. Ce qui est fou, c’est qu’on aurait besoin d’environ 2000 $ pour faire un essai de CEF avec les femmes cette année, ce qui n’est rien pour des canadiens. Mais ici 2000 $, ça représente une somme importante et si on n’a pas cet argent, on ne pourra pas réaliser le projet. Ça me trouble toujours un peu de voir comment ici, avec des montants relativement petits pour des occidentaux, on peut mettre en place des projets qui peuvent apporter beaucoup.
La campagne agricole 2008-2009
la filière céréales
Je suis tombée cette année sur une campagne agricole assez particulière. Un surplus de 700 000 tonnes de céréales a été officiellement annoncé par l’état vers la fin de la campagne agricole l’an dernier. On prévoyait donc des prix relativement bas des céréales. Pourtant, au moment des récoltes, les prix des céréales étaient 40 % plus élevés que les prix de l’an dernier à même date. Autre problème : il y avait très peu de céréales sur les marchés…. Le Ministre de l’Agriculture a réunion les acteurs de la filière céréale (organisations paysannes, producteurs, commerçants, etc.) pour essayer de comprendre ce qui se passait et pour trouver des solutions pour que le Burkina ne meure pas de faim cette année. Toute cette situation a aussi eu des répercussions sur l’UGCPA : les producteurs s’étaient engagés en début d’année à livrer 1200 tonnes de céréales à l’Union alors que maintenant que la collecte est terminée (depuis le 31 mars), on n’a finalement reçu que 750 tonnes environ. Je peux vous dire qu’il y a eu de la panique ici dans les derniers mois et plusieurs producteurs responsables se sont bien énervés contre les producteurs qui ne livraient pas. Vous allez peut-être vous dire que si les producteurs livrent moins de céréales, il y en aura juste moins à vendre et que ce n’est pas si grave que cela. Pourtant c’est faux, les implications de cette situation sont importantes pour la survie de l’Union. Je vous ai expliqué plus tôt que les producteurs avaient droit à des paiements anticipés en cours de saison. Cet argent est prêté à l’Union par la Banque mais il doit évidemment être remboursé. Les producteurs le remettent donc à l’Union à partir du moment où ils livrent leurs céréales : quand l’argent de leurs livraisons leur est remis, l’argent qui leur a été prêté est déduit de ce montant. Vous comprenez que si les producteurs ne livrent pas les céréales prévues ou pas suffisamment, ils ne remboursent pas leur crédit et du coup l’Union peut aussi avoir du mal à rembourser son emprunt auprès de la Banque. Je vous assure qu’à cause de cette situation, les responsables de l’Union se sont pas mal démenés pour faire bouger les producteurs. Ça a chauffé par moment et y’a eu de bonnes discussions !!
J’ai demandé à Simon Kadeba, un producteur de l’Union, s’il était tenté parfois de vendre ses céréales à des commerçants. ‘Pas du tout. Au moment des récoltes, les commerçants offrent toujours plus que l’Union puisque le prix de l’Union sera réajusté plus tard et qu’il devrait y avoir une ristourne en plus après la commercialisation. Il y a quelques années, un commerçant m’a offert 10 000 francs par sac de céréales alors que le prix à la récolte de l’Union était à 7000 francs le sac. J’ai décidé de vendre des sacs à ce commerçant. En janvier, l’Union remettait 3000 francs pour chacun de sacs livrés au prix à la récolte. 7000 + 3000, ça fait pas 10 000 ça ? Mais l’argent du commerçant, je l’ai attendu plusieurs années, jusqu’à ce qu’il meure et que sa famille rembourse ses dettes. Alors que l’Union a toujours été là pour payer mes sacs. J’ai compris cette année là que travailler avec l’Union, c’était réellement gagnant.’ |
la filière bissap’s
Du côté des productrices de bissap’s, la situation était un peu différente. On avait estimé la production de la dernière campagne à 68 tonnes et finalement, elles ont livré 75 tonnes !!! Ce qu’il faut savoir, c’est que l’an dernier 52 tonnes ont été produites. Vous pouvez donc confirmer l’évolution spectaculaire de la production année après année. La problématique ici est différente par rapport aux céréales. Comme le bissap’s est produit biologiquement, plus de travail est évidemment nécessaire de la part des femmes par rapport à une production conventionnelle. Les prix qui leur sont donnés doivent donc aussi être plus élevés. Par contre depuis 2 ans, les prix du bissap’s conventionnel sont presque aussi élevés que les prix du bio. Des commerçants du Mali sont mêmes venus offrir des prix dépassant le prix fixé par l’Union. Plusieurs productrices ont donc été tentées de vendre aux commerçants plutôt qu’à l’Union. Malgré que certaines productrices aient effectivement vendu ailleurs, vous pouvez voir que tout de même la collecte fut très bonne cette année.
Lors de discussions entre les productrices sur le prix proposé par l’Union, j’ai été impressionnée par la réaction d’une certaine Virginie qui a pris la parole en disant : ‘Les commerçants du Mali, ils viennent ici pour payer notre bissap’s. On ne les a jamais vus et peut-être qu’on ne les reverra jamais. Est-ce qu’ils reviendront nous donner de l’argent si finalement ils vendent à un bon prix notre bissap’s ? Et l’an prochain, est-ce qu’ils seront là pour nous prêter de l’argent en cours de campagne et pour acheter à nouveau notre production ?’ Quand on voit des productrices aussi convaincues des bienfaits de l’Union, c’est vraiment très motivant !! |
Conclusion
Ouf, je pourrais vous parler pendant des heures du fonctionnement de l’Union, des producteurs de céréales et des productrices de bissap’s, de mon travail, de l’énergie des gens, des difficultés rencontrées, des belles réussites et des échecs, etc. Quand on travaille avec une équipe qui ne compte pas son temps, avec des producteurs/trices impliqués(es) et convaincus(es), qu’on discute avec des producteurs/trices qui ont envie de mieux et plus produire et de s’organiser pour régler certains problèmes qu’ils rencontrent dans leur travail, c’est vraiment hyper motivant et encourageant. Ma relation avec tous ces acteurs du monde paysan burkinabè est géniale, j’adore discuter et partager avec eux tous. J’ai appris et j’apprends tellement sur leurs réalités rurales, leur production et leur façon de s’organiser, c’est réellement passionnant. Tous ces producteurs/trices sont fascinants et tellement intéressants quand on prend le temps de discuter avec eux et mieux, d’aller les visiter chez eux au village. Mais vraiment, je crois que je travaille avec une des plus belles organisations paysannes du Burkina. L’UGCPA est une organisation qui bouillonne d’énergie, d’idées et de partenariats. Réellement elle m’offre une expérience exceptionnelle. Je la remercie du fond du cœur pour cet accueil, cette ouverture, ce respect et ce partage hors du commun. Bravo et merci à tous les membres et agents de l’UGCPA !!!
N’hésitez pas à me poser des questions si vous n’avez pas compris certains éléments ou si vous désirez des précisions ou des détails. Ça me fera plaisir de répondre à vos questions !
J’attends des nouvelles de chacun d’entre vous. J’espère que vous vous portez tous et toutes très bien. L’été arrive de votre côté alors profitez-en bien !
Au plaisir,
Rosanne
Moi avec Martine, une productrice de bissap’s membre du bureau exécutif de l’UGCPA