« Un petit caillou profite du haricot à
côté de lui pour avoir de l’huile. »
20 février 2009
La
vie des gens pauvres et inconnus
Dans mon message d’octobre dernier, je vous ai
cité quelques fois le nom de mon ami Damond qui m’a bien accompagnée dans mon
expérience de jeûne du Ramadan. Une
rencontre le matin tôt avant le lever du soleil dans la ville encore
majoritairement endormie avait favorisé ses confidences sur certaines de ses
expériences de vie. Vous savez, le
genre de vie dont on entend parler dans un petit reportage à la télévision et
où on se dit ‘c’est pas possible, c’est vraiment impressionnant !’ mais qu’on
oublie ensuite rapidement parce que ce sont des réalités tellement loin des
nôtres et vécues par des gens qu’on ne rencontre jamais. Tout cela a changé pour moi parce que cette
histoire, elle a été vécu par un de mes meilleurs amis ici, par Damond que je
vois tous les jours et avec qui je cause, je rigole, je mange, je partage mes
difficultés et mes idées, etc. Damond a
accepté que je partage avec vous sa vie de simple burkinabé qui a des rêves et
des ambitions comme nous tous mais qui rencontre certaines embûches sur sa
route qui sont parfois un peu différentes de nos embûches d’occidentaux…
Damond qui se prépare à manger la fameuse soupe
de tête de mouton à la rupture pendant le Ramadan.
une enfance de burkinabé
Damond est né Seydou Balima le 6 février 1976 à
Fada N’Gourma. Il est mossi, ethnie
majoritaire du Burkina Faso. Il est issu d’une famille polygame et sa maman est
la première femme de son papa : elle a eu 7 enfants et Damond est le
3e. Sa petite maman (2e
femme de son père) a accouché pour sa part de 5 enfants.
Damond est allé à l’école franco-arabe jusqu’à
ses 16 ans. Pendant ses congés et ses
vacances, il faisait des petits boulots comme garder les bœufs, travailler au
champ ou vendre du sucre et des bonbons au marché local.
Un jour, un de ses amis qui vivait au Niger, un
des nombreux pays frontaliers du Burkina Faso, est passé à Fada et lui a dit
qu’il y avait beaucoup de travail au Niger.
La discussion avec cet ami a fait son chemin dans l’esprit de Damond qui
a décidé qu’il voulait quitter le pays pour aller travailler là-bas et gagner
de l’argent. Il a pris 3 mois pour
ramasser un peu d’argent en prévision de son voyage. Il a lâché l’école pour transporter de l’eau avec une charrette
et une barrique pour des maçons et gagner ainsi 3000 francs CFA/mois
(l’équivalent de 7,50 $ CAN/mois).
Ses parents lui demandaient pourquoi il n’allait plus à l’école mais il
ne voulait pas leur donner la vraie raison : il savait très bien qu’ils
refuseraient qu’il quitte seul pour aller travailler au Niger. Alors il mentait en disant qu’il
retournerait à l’école et même, il faisait parfois semblant qu’il partait à
l’école le matin, rentrait le midi aux mêmes heures que les écoliers pour
manger mais en réalité il continuait son boulot de transporteur d’eau.
le Niger
Un matin, à 5h, levé avant toute la famille, il
quitte la maison avec un petit sac contenant 2 habits (2 pantalons et 2
t-shirt) et 7000 francs CFA (17,50 $ CAN) en poche. Sa maman était au courant qu’il voulait un
jour partir mais elle ne savait pas où, ni quand, ni qu’il voulait partir seul. Ce matin-là, il n’a averti personne, n’a
salué personne. Il n’est même pas allé
à la gare pour prendre le car (autobus) car il voulait éviter toute question,
toute personne qui pourrait avertir ses parents qui l’empêcheraient de
partir. Il s’est rendu sur la route 4
pour attraper le car en route pour Niamey, la capitale du Niger. On lui a demandé 6000 francs pour le
voyage. Il avait 16 ans, il partait
vers l’Eldorado avec l’espoir de gagner un peu d’argent, peut-être une petite
fortune….
Damond est parti sans papiers. Il a eu de la chance car à la frontière et à
la douane nigérienne, vu son jeune âge, personne ne lui a demandé quoi que ce
soit. À 19h le soir-même, il descendait
dans le noir à Niamey où il ne connaissait personne et où il ne comprenait pas
la langue principale, le djerma. Comme
il était allé à l’école franco-arabe, il pourrait tout de même tenter de se
débrouiller avec le français qu’il connaissait. Il est monté dans un taxi et a demandé l’église : il avait
entendu dire que là-bas, il pourrait trouver des burkinabés prêtres et un
cuisinier. En arrivant à l’église, il a
fait le tour de la cour, n’a vu personne, s’est couché sur le sol et a dormi
toute la nuit. Il était heureux :
il avait atteint son objectif de se rendre au Niger.
Damond aujourd’hui qui me présente une photo
prise au Niger.
Le lendemain matin, il a refait le tour de la
cour et a demandé à une personne rencontrée s’il y avait des burkinabés dans
cette église. On l’a effectivement
amené au cuisinier. Il s’est présenté à
ce cuisinier qui lui a servi un petit déjeuner et qui lui a demandé ‘tu es
venu faire quoi ici ?’. ‘Je veux trouver du travail’, qu’il a répondu. Le cuisinier l’a amené chez lui où ils ont
bien causé. Il lui a dit qu’il pourrait
trouver un travail de jardinier facilement mais que ce travail serait trop
difficile pour lui. Damond était prêt à
tout mais le cuisinier a refusé. Ce
dernier lui a finalement dit qu’il allait avoir sa paye à la fin du mois et
qu’il allait lui payer un billet de car pour qu’il retourne au Burkina. D’ici son départ il logerait chez lui. Le jour, Damond allait causer avec un
burkinabé vendeur de café qui lui donnait des petites courses à faire. Après 2 semaines, ce vendeur lui a trouvé un
travail comme vendeur d’eau fraîche dans des sachets pour une guinéenne vivant
avec son mari professeur d’université.
Le cuisinier est allé voir la femme pour s’assurer que tout se passerait
bien. Il gagnerait 3000 francs CFA/mois
(7,50 $ CAN) et serait logé et nourri.
Il avait une chambre dans la petite maison de gardien dans la cour. Alors tous les matins, il partait avec la
glacière sur la tête vendre ses sachets d’eau fraîche mais ne parlant pas la
langue locale. Il s’est difficilement
débrouillé avec le français, s’est fait insulter plusieurs fois et a rapidement
appris le djerma.
Personne ne sait dans sa famille où il est
parti. Après 5 mois, il n’a toujours
pas donné de nouvelles et n’en a évidemment pas non plus reçues. Sa maman lui manque. Il trouve un burkinabé qui retourne au pays. Il part chez un photographe se faire
photographier et remet la photo au burkinabé pour sa famille, avec 2 pantalons
à donner à son petit frère que sa patronne guinéenne lui a payés. Cette femme a été heureuse qu’il donne les
pantalons pour son petit frère et lui a dit qu’elle aurait pu donner plus pour
sa famille si elle avait su que quelqu’un allait partir là-bas. Elle avait un seul fils, un petit qui s’est
beaucoup attaché à Damond et elle-même considérait Damond comme son propre
fils. Avec elle, comme elle ne parlait
pas la langue locale (elle sortait peu) et ne parlait pas le moré, la langue
des mossi, il a bien appris le français.
Il a aussi appris à cuisiner, ce qui allait lui être utile plus tard.
Photo de Damond envoyée à ses parents le 25
septembre 1994.
Après un an de séjour au Niger, la guinéenne
augmente le salaire de Damond à 5000 francs CFA/mois (12,5 $ CAN) en lui
demandant de laver les vêtements de son petit en plus. Damond ne dépense pas son argent. Après la première année, la guinéenne lui a
remis son salaire devant le cuisinier burkinabé qui a demandé à Damond ce qu’il
voulait faire avec l’argent. Damond lui
a dit de garder, que pour l’instant il n’en avait pas besoin.
Il a donc fait une autre année au service de la
guinéenne. Puis il s’est trouvé un
autre travail comme cuisinier dans une famille sénégalaise dont le mari était
avocat. La femme était enceinte et
avait besoin d’aide à la maison. Il
allait être logé et nourri là-bas et gagnerait 30 000 francs/mois
(75 $, toute une augmentation !!).
Par contre il n’a pas voulu dire à la guinéenne qu’il allait la quitter
pour un autre travail. Alors il lui a
menti en disant qu’il allait retourner au Burkina et que si tout allait bien
dans sa famille, il reviendrait chez elle.
Cela lui assurait que si ça se passait mal chez la sénégalaise, il pourrait
revenir à son poste chez la guinéenne !!
Celle-ci lui a donné des cadeaux et des habits et il a quitté, pour
l’autre bout de la ville en réalité…..
Il était heureux d’avoir trouvé ce nouveau
travail afin de gagner plus d’argent, même si la sénégalaise était
méchante. Toutes les fins de mois, il
dépose son argent chez le cuisinier qui est devenu comme son grand frère. Il travaille un an chez cette femme, jusqu’à
ce qu’elle accouche et ait plus de temps pour reprendre le contrôle de la
maison. Pendant cette année, un
marchand burkinabé retournant au pays amène avec lui pour la famille de Damond
50 000 francs (125 $).
Quand il a dû quitter son poste chez la
sénégalaise, il est allé habiter 2 mois chez un ami burkinabé cireur de
chaussures, surnommé Bam. C’est cet ami
qui lui propose de partir pour aller travailler en Lybie. Où y’a du travail et de l’argent, Damond est
prêt à aller. Deux mois après, tous les
2 quittent pour la Lybie. Damond a
125 000 francs (312 $) en poche.
Il demande au cuisinier d’envoyer le reste de son argent économisé avec
un marchand burkinabé à sa famille. Par
contre il ne veut pas qu’on apprenne à ses parents qu’il n’est plus au Niger,
question de ne pas les inquiéter.
la Lybie
Bam et Damond ont mis environ une semaine pour
se rendre à Tripoli en Lybie. Le plus
compliqué fut que Damond n’avait aucun papier d’identité avec lui alors il a
parfois dû payer les contrôles pour pouvoir continuer sa route. Le voyage lui a coûté 30 000 francs
(75 $).
À Tripoli, il trouve un travail de serveur dans
un maquis (petit restaurant) libanais.
Il gagne 75 000 francs/mois (190 $). Il habite dans une maison avec Bam, 2 guinéens, 1 camerounais et
2 ghanéens. À Tripoli, il y a
énormément de contrôles pour les africains noirs (il faut savoir qu’en Lybie,
en Afrique du noir, ce sont des arabes qui vivent là-bas). Damond doit continuellement se cacher pour
ne pas se faire prendre. Pendant 5 mois,
il vit entre le travail et le restaurant.
Le libanais le cache quand il y a des contrôles mais à un moment, il y a
trop de contrôles dans le maquis et Damond doit quitter. Il trouve ensuite un boulot dans un garage
comme gardien de jour à 50 000 francs/mois (125 $). Un matin, 4 policiers arrivent au garage et
amènent Damond et l’autre noir qui travaille avec lui. Nous sommes en 1995 : la Lybie a décidé
d’expulser tous les africains noirs, avec ou sans papiers. Il est amené au commissariat où il se
retrouve prisonnier avec une quatre-vingtaine d’autres africains noirs. Il ne peut pas aller chercher son argent ou
ses effets personnels : il sera prisonnier dans ce commissariat, sans eau
à boire ou pour se laver, avec à peine un peu de bouffe, pendant 3 jours. Au bout de ces 3 jours, ils seront tous
entassés dans un car qui roulera
pendant 24 heures dans le désert pour les expulser du pays et les déposer à la
frontière avec le Niger.
l’expulsion au Niger
Le village où il se retrouve à la frontière est
un minuscule village touareg au milieu du désert. Ils sont environ 200 africains noirs, burkinabès, ivoiriens,
ghanéens, etc. à se retrouver ainsi abandonné au milieu de rien. Les touaregs là-bas ont l’habitude de ces
expulsions et en profitent pour se faire de l’argent en transportant les
expulsés à dos de dromadaire dans la ville la plus proche, Arlit, qui se trouve
au nord nigérien à environ 160 km.
Damond a eu de la chance car quand il a été expulsé, il avait sur lui
environ 50 000 francs CFA (125 $).
Plusieurs des expulsés qui sont arrivés là-bas sans argent ont tenté de
rejoindre Arlit à pied. Toutefois les
160 km à faire à pied par une chaleur torride pouvant monter jusqu’à 50
degrés a eu raison d’eux et plusieurs sont morts dans cet exil. Damond a pu s’entendre avec un touareg pour
partir à Arlit pour 35 000 francs (90 $) mais il a dû attendre le
retour de ce chamelier environ une semaine.
Dans ce minuscule village, pas de boutiques ou de restaurants. Il s’est débrouillé en achetant du lait et du
bassi (un genre de couscous cuisiné dans du lait). Chez les tourages, on retrouve aussi de la viande comme ils ont
des troupeaux mais Damond n’avait pas les moyens de payer pour de la viande.
Photos prise en 1995 à Arlit avec son ami
Boucaré malade et qui est mort pendant l’exil.
Pour se rendre à Arlit, ils ont mis 4 jours à
voyager jour et nuit, avec des pauses les après-midi (13h à 15h) au plus fort
de la chaleur. Il y avait 7 dromadaires
et ils étaient 2 par monture. Damond
avait demandé à un touareg de lui ramener 5 boîtes de sardines d’Arlit et il a
donc survécu pendant ce voyage avec ces sardines, un peu de pain et de
l’eau. Pendant 4 jours et nuits, ils
ont sillonné ce désert torride de dunes.
Ils sont arrivés à Arlit un soir vers 19 h.
Damond a passé 5 jours à Arlit pour se reposer
et pour s’occuper de son ami Boucaré qui est très malade. Tous les 2 dormaient dehors chez un vendeur touareg de café. C’est à Arlit aussi que Damond retrouve son
ami Bam. Comme ce dernier a de
l’argent, il paye des médicaments pour aider Boucaré. Au bout des 5 jours, ils décident de partir pour Agadez, plus
grosse ville que Arlit, à la porte du désert nigérien, où ils espèrent soigner
Boucaré. Le car les amène pour 6500
francs chacun (16 $) : 8 heures de route dans le désert sans route
goudronnée. Boucaré est mort 2 jours
après son arrivée à Agadez. Damond et
Bam ont creusé eux-mêmes le trou au cimetière pour enterrer leur ami. Les musulmans enterrent leurs morts sans
cercueil mais dans un morceau de tissu.
Beaucoup sont tombés malade à cause des dures conditions de cet exil et
en sont morts : Damond et Bam ont vraiment été chanceux de s’en sortir.
À Agadez, Bam continue son travail de cireur et
Damond l’aide et se repose aussi. Ils
se demandent tous les 2 s’ils vont retourner à Niamey ou s’ils ne partiront pas
plutôt vers le Tchad, pays frontaliers à l’est du Niger. Comme Damond n’a toujours pas de papiers,
ils décident finalement tous les 2 de rester au Niger et de retourner à
Niamey. Damond et Bam connaissent très
bien Niamey. Ils dorment dans la cour
d’un burkinabé. La guinéenne où Damond
avait travaillé est repartie en Guinée et Damond ne veut pas retourner voir le
cuisinier burkinabè car il sait que celui-ci lui dira de retourner dans sa
famille au Burkina, ce qu’il ne veut pas.
Après un mois sans travail, Damond trouve un boulot dans le resto d’un
ami dont le papa est français et la maman togolaise. Il travaille 6 mois à 25 000 francs/mois (62 $). Pendant ce séjour à Niamey, il croise des
libériens qui font du ‘business’. Ils
lui disent qu’ils ont de l’argent américain qu’ils voudraient changer pour des
francs CFA. Pas de problèmes, Damond
peut les aider et les met en contact avec une connaissance à Niamey. Ces libériens logent aussi chez Damond. Au bout d’un certain temps, ils avouent à
Damond qu’ils font du blanchiment d’argent.
La situation devient dangereuse pour
Damond car la police les recherche.
Les libériens donnent 250 000 francs (625 $) à Damond pour
qu’il quitte le pays. Damond n’a donc
plus le choix et il quitte le Niger pour retourner au Burkina. Les libériens quittent pour leur part au
Bénin.
retour au Burkina Faso
Voilà Damond de retour au Burkina, un retour
forcé. Il est seul, traverse sa ville
natale Fada N’Gourma sans s’arrêter et continue vers la capitale,
Ouagadougou. Il sait que s’il s’arrête
à Fada, ses parents ne voudront plus qu’il reparte mais aussi, il devra
dépenser là-bas, perdra son argent alors qu’il a une autre idée en tête. Il veut aller à Ouaga pour enfin faire ses
papiers d’identité et pour réfléchir à la suite. Après avoir eu ses papiers, il retourne 5 jours visiter sa
famille où il ment : il leur dit qu’il a un boulot à Ouaga et qu’il doit
retourner, ce qui n’est pas vrai. À
Ouaga, il croise un militaire de Nouna (petite ville de l’ouest du Burkina, pas
très loin de Dédougou où je suis) qui lui dit qu’il peut faire Dédougou-Nouna
puis entrer au Mali et continuer la route pour aller jusqu’en Espagne
clandestinement. D’accord, c’est ce
qu’il veut désormais faire. Avant
d’arriver à Dédougou, il s’arrête à Koudougou 1 mois où il apprend un peu la
coiffure aux ciseaux. Bam est avec lui.
Ils quittent ensuite tous les 2 pour
Dédougou. Ils ne connaissent personne à
Dédougou. Ils déposent leurs sacs chez
un soudeur. Bam est de l’ethnie des bissas. Il demande donc s’il y a des familles de
bissa dans la ville. C’est ainsi qu’ils
seront logés 1 mois dans une famille bissa.
Tous les 2 commencent à gagner un peu d’argent en faisant de la coiffure
ambulante.
Damond en 1998 avec son panneau publicisant son
travail de coiffeur ambulant.
Comme Dédougou est petit, Bam part coiffer à
Nouna. Tous les 2 discutent pendant ce
temps avec des maliens qu’ils leurs disent tous que ce n’est pas facile
d’entrer en Espagne et qu’il faut beaucoup d’argent. La coiffure ne fonctionne pas pour Bam à Nouna qui revient à
Dédougou puis décide de repartir coiffer à Fada.
Depuis ce temps, Damond n’a toujours pas quitté
Dédougou. Il a continué la coiffure
ambulante un temps. Avec l’argent
amassé, il a pu louer un petit local, a changé quelques fois de local dans les
dernières années et a fait un stage chez un coiffeur où il a appris la coiffure
avec les tondeuses (‘clipper’). Il a
donc maintenant un joli petit salon coloré où les amis se rencontrent pour
causer, manger et rigoler à tout moment.
Il a aussi fait partie d’un groupe de musique ‘rap’, Les Nettoyeurs,
dans lequel les 7 membres chantaient sur de la musique déjà enregistrée. Bam est maintenant à Ouaga où il fait du
théâtre et de la musique.
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Damond coiffant l’abbé Bernard dans son salon
de coiffure de Dédougou. Dernière cassette de BAM. |
Aujourd’hui
Alors qu’est-ce qui se passe aujourd’hui pour
Damond ? A-t-il encore des rêves d’exil
? Oui, oui, il veut toujours partir,
pour gagner plus d’argent et pour mieux vivre.
Dédougou, même si elle reste une petite ville, s’est développée dans les
dernières années. On retrouve beaucoup
de coiffeurs et donc ce travail n’est plus payant. Je vois souvent Damond pensif et un peu découragé. À force de l’entendre dire qu’il ne gagnait
pas d’argent, je me suis un jour assise avec lui pour qu’on calcule ses coûts
de production et sa marge brute de revenus.
J’avais mon ordinateur, mon tableau Excel, on était assis dans sa
boutique et il avait sorti toutes ses factures et avait en tête tous ses chiffres. On a tout noté : ses dépenses pour son
local, le gardien, l’électricité, les impôts, son matériel, etc. Puis on a calculé ses revenus. On a dû faire différents scénarios parce
qu’il ne savait pas précisément combien il gagnait annuellement : un
bon jour, un jour moyen, un jour exceptionnel, un mauvais jour, combien de jour
exceptionnel (avant les fêtes), combien de mauvais jours, etc. J’hallucinais au fur et à mesure que les
calculs avançaient : avec ce qu’il gagne, Damond ne peut pas couvrir ses dépenses
de nourriture, de location de chambre-salon et d’électricité. Et ça c’est sans compter les autres dépenses
par exemple pour se vêtir ou se déplacer.
Je ne parle pas non plus des imprévus comme les soins de santé. Comment on va faire ?, comme disent les
burkinabès. Il y a un compteur
d’électricité que Damond voudrait changer car s’il avait un autre modèle, il
pourrait économiser sur les frais fixes d’électricité. Il a besoin d’environ 30 000 francs
(75 $) pour payer ce compteur. Il
n’a évidemment pas l’argent. Peut-il
emprunter à quelque part ? : pas vraiment. Alors je lui ai dit ‘tu n’as qu’à ramasser 100 francs (25 sous)
par jour et au bout d’un an, tu auras économisé l’argent qu’il faut pour payer
ce nouveau compteur. Damond me disait
qu’il ne pouvait pas faire ça, que jamais il n’y arriverait. ‘Alors Damond, je te propose que tu me
donnes 100 francs par jour et moi je vais garder l’argent pour toi’. Il a accepté. On a signé un contrat : ‘Je te remets cet argent que dans un
an et pour acheter un compteur. Je ne
te remets cet argent en cours d’année en aucun cas sauf pour des raisons de
santé majeures, si tu quittes Dédougou définitivement ou si moi je quitte
Dédougou.’ Le contrat a été signé fin
mars, devant témoin ! Depuis ce
jour, Damond me donne religieusement 100 francs tous les jours. Je n’ai pas besoin d’insister ou de
demander, quand on se voit le soir, il entre chercher l’argent dans son salon
et me donne. Quand je quitte Dédougou
pour quelques jours, on s’entend et en général il m’avance tout l’argent pour
la durée où je ne serai pas là.
Damond et sa copine Marie à la dernière
Tabaski, la fête musulmane du mouton.
Les gens ici semblent avoir du mal à gérer
leurs revenus à moyen/long terme et à économiser. Un des problèmes, c’est que quand tu as de l’argent, les gens
viennent emprunter et c’est difficile de refuser. Souvent tu ne revois pas ton argent… Alors quand tu en as, aussi bien le dépenser et avoir un vélo ou
une moto à toi, même si tu as du mal à manger le lendemain, plutôt que de le perdre de toute façon sans
rien avoir en retour…
Mais Damond a un autre rêve pour
Dédougou : il voudrait avoir un salon de coiffure pour hommes et femmes où
il pourrait aussi offrir des pommades, des shampooings et des parfums dont les
femmes raffolent. Ce salon devrait être
plus payant car les femmes burkinabès se font continuellement coiffer, elles
changent de coiffure pratiquement toutes les semaines. Pour l’instant, Damond n’a pas les moyens
d’entreprendre ce projet. Moi je lui ai
proposé qu’il fasse une demande de microcrédit détaillée avec toutes ses
dépenses et une évaluation de ses revenus potentiels. En ce moment, il note tous ses revenus dans un cahier pour qu’on
ait une meilleure idée de ce qu’il peut potentiellement gagner avec sa coiffure
pour hommes. Il aurait besoin d’environ
1 000 000 de francs CFA (2500 $), ce qui est énorme
ici. Vous imaginez comme c’est
relativement peu pour chez nous…. Ça
c’est un des problèmes ici : les gens ont des idées mais n’ont pas le fond
pour investir et commencer de petites entreprises qui pourraient leur rapporter
éventuellement beaucoup.
Damond voudrait aussi aller visiter sa famille
à Fada. Ces temps-ci il pense souvent à
cela car il n’est pas allé là-bas depuis près de 3 ans. Il dit qu’il aurait besoin d’environ
50 000 francs (125 $) pour le voyage et pour faire quelques
cadeaux. Il n’a pas d’argent en ce
moment donc ce projet ne semble pas pouvoir se concrétiser, pour l’instant du
moins.
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Damond et sa copine Marie. |
Damond, Marie, Rose (sœur de Marie) et moi
dimanche dernier alors que j’ai préparé pour la première fois à manger
(spaghetti sauce légumes). |
Damond continue aussi de rêver à l’Europe ou à
l’Amérique. On en discute de temps en
temps et je veux qu’il comprenne bien que la vie ne serait pas nécessairement
facile pour lui là-bas. Mais il ne peut
pas s’empêcher de rêver. Toutefois, l’idée
d’atteindre l’Europe clandestinement est disparue : il veut maintenant
passer pas des voies officielles et honnêtes.
Vous connaissez maintenant un peu mieux un de
mes bons amis de Dédougou. Je passe au
salon de Damond tous les jours car c’est souvent là que le grain s’installe
pour causer et c’est chez lui que je dépose mon vélo pour tourner ensuite à
pied à Dédougou. Je trouve parfois
Damond un peu découragé par sa situation, pensif sur ses projets et ses rêves,
énervé par la misère qui l’entoure. Alors
on cause. Il me donne aussi parfois des
idées quand moi j’ai des trucs à régler ou il m’écoute quand j’ai besoin de
parler. Ah Damond, je souhaite
sincèrement du fond de mon cœur que tu trouveras ce que tu cherches.
Youl, Damond et ‘délégué’ se reposant sous le
hangar des artistes.
Ah Damond, comme j’aime te voir rigoler !!!!
J’espère que vous vous portez tous et toutes
magnifiquement bien. Si vous avez
encore un peu froid au Canada, dites-vous qu’ici la chaleur commence à être
écrasante et les nuits ressemblent à nos nuits de canicule au Québec !!
Bisous à vous tous
Rosanne
Merci aux femmes de Konankoïra pour le poulet
qu’elles m’ont offert et qui fut délicieux !!
Je l’ai fait tuer et griller à Dédougou et on l’a mangé entre amis.