« Tant qu’on n’a pas coupé la tête de l’homme, ce dernier aura des idées. »


6 janvier 2009


Les particularités burkinabés


En cette période des fêtes, j’ai décidé de vous entretenir d’un sujet léger : certaines particularités de la culture et de la vie burkinabé. Quand on arrive dans un nouveau pays, on est souvent perdu et on se rend compte même que des fois on ne comprend rien de ce qui se passe ou de ce que quelqu’un peut nous raconter. Vous pouvez être assurés que je pose beaucoup de questions ici pour essayer de comprendre ce qui se passe autour de moi ou les références culturelles utilisées dans les discussions. Ceux qui connaissent l’Afrique s’y retrouveront certainement et ceux qui ne connaissent pas, vous apprendrez à découvrir un peu comment les gens ici peuvent parfois penser très différemment par rapport à chez nous.


sinangouya : la parenté à plaisanterie


La parenté à plaisanterie est une particularité que je trouve hilarante mais totalement déstabilisante quand on entend des discussions la première fois y faisant référence. Il faut savoir qu’au Burkina Faso, il y a plus de 60 ethnies différentes, ce qui est énorme pour un aussi petit pays. Il est aussi impressionnant de voir la bonne entente qui existe entre toutes ces ethnies. Je ne suis pas du tout ethnologue pour bien expliquer ce qu’est une ethnie à ceux qui ne savent pas mais en gros, je dirais que ce sont des peuples ayant des origines, des traditions et des cultures plus ou moins différentes. Un jour je pourrai peut-être faire un courriel sur les différences entre certaines ethnies pour que vous ayez une meilleure idée de ce que tout cela représente. Disons pour l’instant qu’on retrouve des mossi, des bobos, des dioulas, des gourmantchés, des peuls, des touaregs, des bellas, etc. au Burkina. Dans ma région, c’est-à-dire dans la boucle du Mouhoun (le Mouhoun étant un fleuve, l’ancienne Volta Blanche), on retrouve beaucoup de bwabas, de samos et de dafis. Les bwabas parlent le bwamu (prononcer ‘boimou’) mais comme il y a beaucoup d’ethnies à Dédougou, presque tout le monde parle et comprend le jula (prononcer ‘dioula’), la langue la plus utilisée et comprise dans l’ouest du pays (c’est la même langue que le bambara du Mali, les bambaras étant des commerçants, cette langue a été largement diffusée dans cette région de l’Afrique). Le jula est donc la langue que j’essaie laborieusement d’apprendre. Les mossis sont ceux qui ont créé le pays et parlent le moré : on les retrouve un peu partout dans le pays.


Papa et Arafat en costume traditionnel dafi à la fête de la Tabaski (fête du mouton).


Arafat très fier !!


Entre certaines ethnies, il y a donc parenté à plaisanterie. Par exemple il y a parenté à plaisanterie entre les mossis et les samos, entre les bwabas et les dafis, entre les bwabas et les peuls, entre les gourounsis et les bissas, entre les touaregs et les gourmantchés. Quand il y a parenté à plaisanterie entre 2 ethnies, ça signifie que les gens de ces ethnies qui causent ensemble peuvent se dire n’importe quoi. Quand je dis n’importe quoi, je veux dire que tout leur est vraiment permis. Tu peux taquiner, ‘niaiser’, ‘insulter’, ‘dénigrer’ tant que tu veux l’autre personne, tout cela dans une ambiance très bon enfant et sans qu’il y ait rancune par la suite. En plus de pouvoir dire n’importe quoi, ce qui est particulier, c’est que les différences sociales dans la parenté à plaisanterie n’ont plus aucune importance. Tu peux donc entendre un paysan qui ‘niaisera’ sans soucis un directeur de service. On m’a dit qu’un samo quelconque pourrait même insulter le président de Faso, Blaise, qui est mossi, sans qu’il n’y ait de conséquences !!


Greniers à céréales dans un village bwaba (Bomborokuy).


Je vous donne un exemple. Un jour que j’étais à mon grin à Dédougou, j’entends plusieurs amis s’acharner sur un mec en disant qu’il a chez lui une énorme truie très noire. Ils me disent que pour Noël, il faudrait que j’achète cette truie pour qu’on la mange tous ensemble pour la fête. Vraiment cette truie est supposément très grosse donc il y aura de la viande à profusion pour tout le monde. Et la discussion continue dans ce sens et les gens s’acharnent sur ce mec que ne rigole pas vraiment, s’énerve à moitié et finit par partir. Après son départ, on m’explique qu’il y a parenté à plaisanterie entre ce mec qui est bwaba et les autres qui sont dafis. En fait, la fameuse truie en question, ce n’est pas un animal, c’est la maman du mec !! À cause de ce lien entre ces 2 ethnies, il leur était permis de causer ainsi. Même si l’autre s’est un peu énervé, jamais il n’y aura rancune à cause de ces propos et de toute façon, la prochaine fois, c’est peut-être ce mec qui s’acharnera sur les autres !


Maisons traditionnelles peintes en pays en Gourounsi.


On m’a toutefois prévenue qu’il faut être prudent quand on parle de la maman de quelqu’un avec qui il y a sinangouya. Ici un enfant est considéré de l’ethnie du papa même si la maman est d’une autre ethnie. Alors si on ne connaît pas la maman d’une personne, vaut mieux ne pas faire plaisanterie à son sujet parce que si elle n’est pas d’une ethnie avec laquelle tu peux faire plaisanterie, la rigolade peut se terminer net. Par contre tu peux parler du papa sans soucis car lui c’est certain qu’il est de la même ethnie que ton interlocuteur.


Quand j’étais à l’hôpital, ma voisine de chambre était une mossi et à un moment, l’anesthésiste est entré pour la préparer pour son opération. Lui il était samo et il a fait une remarque en disant qu’habituellement ce sont les mossis qui sont les esclaves des samos mais que là c’est lui qui s’occupera tout de même d’elle !


Enfants bwabas à Konankoïra.

Enfants mossis à Dédougou

(ce sont les enfants de ma cours).





Donc continuellement j’entends les gens autour de moi se taquiner et s’insulter à cause de cette tradition. On dit à l’autre comme ça qu’il est vraiment bête (idiot), que c’est ton esclave et que tu veux le vendre, s’il est petit tu l’insulteras en lui disant qu’il est court comme un pygmé, etc.


Voici une autre histoire surprenante à ce sujet. On m’a raconté qu’un mossi était mort. Au moment de l’enterrement, des samos ont enlevé le corps du mort et un des leurs a pris la place du mort dans la tombe ! Les mossis voulaient qu’il sorte alors ils lui lançaient de l’argent pour le convaincre. Le samo n’a pas bougé tant et aussi longtemps qu’il n’y a pas gagné assez d’argent pour le satisfaire !


Je crois que cette coutume est présente dans plusieurs pays d’Afrique de l’ouest. Elle est toutefois extrêmement utilisée au Burkina, peut-être à cause de ce mélange de plusieurs ethnies. Vraiment je trouve que c’est rigolo !!


Et le toubabou (le blanc), a-t-il parenté à plaisanterie avec une autre ethnie ? Pas à ma connaissance….


le droit d’aînesse


Quand on s’assoit dehors sur la rue (ou même à la maison) et qu’on observe bien autour de soi, on est impressionné par tous les ordres que chacun donne aux autres. On a l’impression que c’est le bordel mais en réalité, pas du tout : il y a des règles à respecter. Lui est plus jeune, l’autre est plus vieux : il faut comprendre le droit d’aînesse. Quand tu es plus vieux, tu peux donner des ordres à n’importe qui étant plus jeune que toi. Alors continuellement les gens demandent des services aux plus jeunes : va me payer 2 cigarettes, va déposer ce plat chez tantie, va me chercher le vélo chez Damond, va porter les bagages de cet homme à la maison, va reconduire mon fils chez sa tante, etc. Personne ne riposte jamais, c’est comme ça : les aînés ont ce droit sur les plus jeunes. De toute façon, toi on te demande de faire telle chose mais après c’est toi qui demandera de faire telle autre chose pour toi !


Coro Djara, à gauche complètement, est le plus vieux du groupe. Coro veut dire ‘grand frère’. Lui peut donner des ordres à tout le monde sur cette photo. Vous pouvez donc imaginer quand cette fête du jour de l’an, la petite à l’avant a travaillé toute la journée !!



Parfois c’est impressionnant. Je suis assise avec mes amis devant la poissonnerie d’Abdou. De l’autre côté de la rue, il y a des femmes qui vendent à manger. Un ami à côté de moi peut crier : ‘hey, Adjita, apporte-moi un plat de riz.’ Évidemment la femme qu’il a interpellée n’est pas celle qui est plus vieille mais bien une plus jeune que lui. Parfois j’ai du mal à m’habituer à ce droit, surtout quand il faut crier pour que l’autre entende notre demande. Mais dans certaines situations, j’avoue qu’on y prend goût : parfois quand je suis avec ma petite copine Sanata, je me surprends à lui demander d’aller me payer des bananes ou d’aller porter le plat aux femmes qui m’ont vendu mon repas….!


Avec ma copine Sanata qui est tellement sympathique et qui est une vraie comédienne (faudrait un jour que je puisse vous envoyer des petits films que j’ai filmés avec elle.)


les croyances


La vie ici est rythmée par toutes sortent de croyances. Ce n’est pas à moi de dire si elles sont vraies ou fausses, si elles sont bonnes ou mauvaises. Chacun croit à ce qu’il veut mais simplement pour un occidental ces croyances sont parfois très surprenantes.


Ici en général on se douche à l’extérieur. Un coin de la cour est aménagé en ‘douche’, c’est-à-dire qu’on a construit en pierres ou béton (si tu es plus riche), 3 murets pour te cacher nu pour te doucher au seau. Ce qui fait que si tu te douches le soir quand il fait noir, s’il n’y a pas de lune, il peut faire vraiment noir. Comme la douche est au fond de la cour, vous comprenez aussi que tout le monde te voit partir te doucher. Un jour, comme j’avais l’habitude de me doucher le soir, parfois assez tard, on m’a avertie qu’une femme ne devait pas se doucher trop tard le soir. Pourquoi ça ? Simplement parce qu’elle pourrait se faire violer…..par un esprit ! On m’a dit que je n’allait pas m’en rendre compte. Alors c’est quoi le problème ? Personne ne m’a dit mais j’imagine que c’est qu’il peut y avoir des conséquences fâcheuses…


Plus tard, j’ai compris d’où venait cette croyance. Quand dieu a créé le monde, il n’a pas voulu que les mauvais esprits vivent avec les Hommes. Il leur aurait donc donné comme domaine les toilettes et les douches que les gens fréquentent rapidement en général. Alors c’est aussi pourquoi les burkinabés ont l’habitude de faire une prière en entrant et en sortant des toilettes et des douches, question de dire aux esprits qu’ils vont prendre la place un instant, alors il faut les laisser tranquilles, ou que les esprits peuvent revenir parce qu’ils ont terminé. C’est pour cette raison aussi que les burkinabés ne parlent pas quand ils vont aux toilettes ou à la douche, simplement pour ne pas déranger les esprits. Si tu les déranges, ils peuvent te gifler, ce que je trouvais intéressant, question d’avoir une preuve que cette croyance est vraie. Par contre mes amis ici ne trouvent pas du tout drôle que j’aie envie de me faire gifler car tu peux en sortir blessé et souvent fou…


Les chrétiens burkinabés fabriquent de petites crèches à l’extérieur de leur maison pour Noël.


Il y a tellement de croyances animistes ici, c’est vraiment impressionnant. Je n’arrive toutefois pas encore bien à faire la différence entre les croyances musulmanes ou animistes ou ethniques ou la sorcellerie. Moi je dis toujours que je ne peux pas croire à tout ce qu’on me raconte tant que je n’ai pas de preuves. Alors je demande continuellement des preuves. On m’a dit que je pourrais en voir mais que ce n’était pas nécessairement facile. On ne sait pas qui sont les sorcières qui agissent et se réunissent de nuit. On peut en croiser par hasard la nuit qui envoient des flammes dans les arbres par exemple…. J’entends souvent dire que tel enfant est malade parce qu’une sorcière lui a jeté un mauvais sort.


Un bon ami, Souleymane, à moi avait des tracas un jour. Il m’a raconté que son cousin Moussa était très malade parce que sa grand-mère lui avait jeté un sort. Tout cela s’était passé à Abidjan en Côte-d’Ivoire. Alors il fallait rapidement évacuer Moussa d’Abidjan pour qu’il retrouve la santé à Dédougou. Souleymane devait donc aller au village pour aller trouver un médicament qui permettrait à Moussa de sortir de la ville sans que sa grand-mère s’en rende compte…. Il allait prendre en même temps la poudre de racines brûlées qu’on avait déjà utilisée pour mon pied blessé, pour enlever les mauvais sorts. Rassurez-vous, Moussa est aujourd’hui en pleine forme comme vous pouvez le constater sur la photo !


Moussa et moi le jour de la Tabaski, la fête du mouton.


Des fois on me dit que je ne crois vraiment jamais à rien ici et pourtant, à mon avis, je suis la toubabou qui utilise le plus de croyances et de gris-gris ! Je porte toujours autour de la taille un gri-gri fabriqué par un célèbre marabout de la région, Issouf. Ce gri-gri doit me protéger de façon générale. Dans l’enveloppe de cuir, on a aussi introduit une cordelette que j’avais achetée et qui est un médicament pour éviter les maux de dos. Vous savez aussi, par mon dernier message, que j’ai accepté qu’on frotte mon pied blessé avec les racines brûlées pour enlever les mauvais sorts et que j’ai fait tuer un coq rouge, payé des noix de kola et de la poudre de chasseur pour guérir plus rapidement. Dernièrement aussi, un ami m’a acheté un anneau en métal à mettre au doigt. Il a payé l’anneau mais j’ai ensuite dû payer moi-même la protection que sa petite maman allait y mettre. Cette protection est pour les transports. Ainsi, si avant de monter dans un transport l’anneau me serre le doigt, je dois reporter mon départ parce que ça signifie qu’il y aura un problème pendant le voyage. Ces temps-ci, je bois aussi de l’eau dans laquelle je mets de la poudre de racines pour me protéger, entre autre des empoisonnements. Je peux aussi me rincer le corps avec l’eau mélangée à ces racines mais je ne dois pas utiliser de savon. Si je mange un aliment empoisonné, la protection me fera vomir le poison et ça m’évitera d’en mourir. La bague et la poudre ont été préparés par une femme qui a…des génies ! Ça je n’arrive pas à comprendre ce que c’est. En tout cas, de toute évidence, ces génies lui permettent d’avoir certains dons. Alors pour une fille qui ne croit à rien, je trouve quand même que je suis pas mal active dans le monde des croyances africaines….On sait jamais, si ça marchait vraiment !!


Moi avec le célèbre marabout de Blady, Issouf.


Partout dans Dédougou, il y a des lieux pour les sacrifices. On trouve aussi des maisons abandonnées et en ruine. On m’a expliqué que ces maisons avaient été construites sur des sites habités par les esprits des ancêtres et que les propriétaires avaient dû les abandonner parce que la construction des maisons n’avançait par exemple pas car les esprits les ruinaient au fur et à mesure. Tout près de chez moi, il y a un site abandonné que je traverse tous les jours. En entrant de nuit avec un ami un jour, il n’a pas voulu qu’on traverse ce site et on a dû le contourner. Son papa lui a dit qu’il ne fallait pas déranger les esprits la nuit. Cet ami m’a d’ailleurs dit dernièrement qu’il avait surpris un couple en train de baiser sur ce site un soir. Il faut savoir que la ville de Dédougou appartient (et a été fondée) par les bwabas. Mon ami, qui est Mossi, était extrêmement choqué par ce que ce couple avait fait. Un autre ami qui habite aussi pas très loin, nous a affirmé que cela arrivait souvent sur ce lieu la nuit. Alors mon ami veut avertir les bwabas de cette situation car cet acte est très grave : ce serait pour cela qu’il y a des saisons où il y a des catastrophes météorologiques (sécheresse, mauvaise répartition de pluies, attaques d’insectes, etc.) Un couple ainsi surpris devrait payer un bœuf pour faire des sacrifices, ce qui est un fort prix à payer car un bœuf coûte très cher pour les gens ici.


Conclusion


J’aurais des centaines de trucs à vous raconter encore. Mais comme je suis à Ouaga, dans la capitale, et que je ne peux envoyer que d’ici mes lourds messages avec des photos, je vais m’arrêter ici. J’aimerais aussi que ces histoires vous questionnent et vous donnent envie de venir me visiter pour en savoir plus et entendre par vous-même toutes ces histoires fabuleuses !


Je continue aussi toujours mes recherches sur la sorcellerie, le maraboutisme et l’animisme. Alors j’espère qu’un jour je pourrai vous décrire de façon plus détaillée et précise ces différentes croyances.


Je vous fais aussi le point sur ma santé pour ceux que ça intéresse. Je suis sortie de l’hôpital après vous avoir écrit le dernier message. J’ai dû rester quelques jours à Ouaga pour aller à la clinique tous les jours changer mon bandage. Puis je suis retournée à Dédougou mais pour revenir quelques jours après de nouveau à Ouaga et à la clinique. Le médecin a dû inciser ma plaie qui recommençait à s’infecter : ‘il faut bien enlever tout le pus pour ne pas créer d’infection à l’os. Si ça s’infecte à nouveau, il faudra une chirurgie’. J’ai encore des frissons en pensant à ces paroles et aux douleurs intenses de cette journée. Finalement tout s’est bien poursuivi. N’empêche que ce n’est que ces jours-ci que ma plaie s’est pas mal cicatrisée, 8 semaines après mon accident. Ma cheville est par contre encore marquée par l’ecchymose qui est devenu rouge-noir dans ses pires moments. Pour ceux qui s’y connaissent en médecine, c’est un érysipèle que j’ai eu. Ce n’est pas rassurant quand on cherche sur Wikipédia ce que c’est.… Mais maintenant je crois que tout est sous contrôle, en tout cas la situation s’améliore lentement mais sûrement.


Merci à tous ceux et celles qui se sont inquiétés pour ma santé et qui m’ont envoyé des encouragements.


Je vous embrasse tous et toutes

Rosanne


Bonne année 2009 à vous tous et toutes !!