27 novembre 2008
La santé à 2 vitesses
Incident sur la route de Konankoïra
Les deux dernières semaines furent un peu éprouvantes pour moi côté santé mais rassurez-vous en partant, tout va maintenant beaucoup mieux. C’est une histoire qui commence bêtement. Le vendredi 14 septembre, je pars au village de Konankoïra avec 3 de mes collègues pour une ‘descente terrain’ qui aura lieu le lendemain, le samedi. La route pour aller au village est horrible, comme toutes les routes qui sont autour de Dédougou en fait, sauf celle qui part à Bobo-Dioulasso (2e ville du pays) qui elle, est goudronnée. On part donc à 3 motos et moi je monte derrière Pelé, l’animatrice de notre Union qui est à Bomborokuy. Je vous rassure en vous disant que je porte toujours un casque en moto, ce qui est une obligation d’Ingénieurs sans Frontières (question d’assurance). Environ 75 km séparent Dédougou de Konankoïra et on mettra autour de 2h30 pour s’y rendre, vous imaginez donc l’état de la route... Sable, trous, tôle ondulée et poussière définissent les routes non goudronnées du pays dont l’état empire pendant la saison des pluies. On trouve des ‘barrages de pluie’ sur les routes, ce qui signifie que s’il pleut trop, des barrières sont abaissées pour arrêter les véhicules parce que la route est trop dangereuse. Les pluies sont toutefois maintenant terminées mais aucun ‘grattage’ n’a été fait sur cette route depuis les dernières pluies. Je ne parle pas non plus du danger des animaux divaguant sur les routes. Parfois ce n’est qu’un porc traversant la route nonchalamment alors que d’autres fois, c’est un immense troupeau de bœufs menés par quelques peuls (ethnie de nomades possédant traditionnellement des troupeaux) qui se dirigent vers un pâturage plus fourni. Même à Dédougou parfois le soir (et même le jour !) je manque de me casser la gueule sur un porc en rentrant chez moi en vélo ou d’écraser un poulet !
Route de Djibasso (ville à la frontière du Mali) passant par Konankoïra. Ce jour-là nous étions en véhicule et nous avons eu une crevaison.
Donc à un moment avec Pelé, elle a voulu éviter une plaque de sable mais elle a un peu perdu le contrôle et on a percuté une butte de terre en bordure de route. Après le choc, on s’est regardée et on a éclaté de rire. Plus de peur que de mal. En fait, je n’avais que frappé un peu mon tibia gauche sur la pédale et un peu de sang coulait d’une petite plaie. Je sors un Lotus (ici ce n’est pas Kleenex, c’est Lotus !!) et j’essuie le sang, surtout pour ne pas tacher mon pantalon et on repart.
Séjour à Konankoïra
Les nuits en ce moment commencent à être froides ici. Ce n’est pas pratique quand tu travailles le jour et que tu ne peux pas te doucher avant le coucher du soleil. Parce qu’après le coucher du soleil, ouf, c’est pas chaud chaud de se verser de l’eau sur le corps ! Je vous rappelle que je n’ai pas l’eau courante chez moi et que je me lave à l’eau du puits et c’était évidemment la même situation au village ce soir-là. Le matin, c’est encore plus froid que le soir donc aussi bien régler l’affaire le soir. Je suis chez l’animatrice Zihan qui me propose de chauffer l’eau mais je refuse catégoriquement : j’ai ma fierté canadienne quand même !! À la douche ce soir-là, j’en profite pour nettoyer mon petit bobo (ma plaie) avec du savon étant donné que la route était quand même pas mal poussiéreuse et qu’un peu de sang a coagulé sur ma jambe.
La journée du samedi fut géniale avec plus de 130 femmes qui se sont présentées à la réunion malgré la période de travail au champ. On était chez la présidente du groupement de Konankoïra, Régina, qui me fait tellement rire ! C’est une femme dynamique très gentille et généreuse. Chaque fois que je suis au village, elle me donne du dolo qu’elle a préparé elle-même, la boisson alcoolisée de sorgho que les villageois boivent beaucoup. Et attention, quand on t’offre du dolo, la personne doit en boire en premier pour t’assurer qu’il n’est pas empoisonné !!
Le samedi après-midi après la réunion, je suis retournée à Dédougou en moto avec Marcel, mon homologue à l’Union, et tout s’est passé sans incident.
Régina la rigolote préparant la viande pour le repas.
Les femmes de Konankoïra et des villages avoisinants lors d’une descente terrain. Celle devant à droite en bleu, c’est tantie Léontine. C’est une leader au village, par son âge (les vieux sont très respectés ici) et par son dynamisme (elle cultive encore le bissap’s). Elle parle très bien français et à une réunion, elle corrigeait mon cahier de dioula, la langue locale que j’essaie d’apprendre.
Premier passage à l’hôpital de Dédougou
Bon, là où la situation se complique, c’est dans la nuit de samedi à dimanche où mon pied se met à me faire douloureusement mal, au point que j’en ai pleuré. Je finis par prendre une Tylenol, le mal passe un peu et je réussis finalement à m’endormir. Le dimanche, j’ai quand même bien mal au pied et finalement je décide de ne pas bouger de chez moi. Je trouve toutefois que c’est étrange que ma petite plaie, sur laquelle j’ai fini par mettre un peu d’onguent antibiotique apporté du Canada et un pansement, me donne aussi mal au pied. Le soir je me dis que ce n’est pas normal et je décide d’aller à l’hôpital de Dédougou.
L’hôpital de Dédougou est un ensemble de bâtiments de ce style logeant chacun un département : maternité, pharmacie, radiologie, chirurgie, …
On m’envoie au département de la chirurgie où on lave ma plaie avec de la Bétadine, on met un bandage et on me prescrit un antibiotique et un anti-inflammatoire. Je dis au chirurgien (infirmier ??) que le mercredi je suis supposée aller récolter le riz et que j’espère vraiment pouvoir y aller. Il me répond que le mardi tout devrait bien aller et que je pourrai certainement aller au champ le mercredi. Ouain, ouain…..
Je suis allée en vélo à l’hôpital, c’est moins douloureux que de marcher de toute façon. Une heure après cette visite, je vois que ma jambe commence un peu à enfler. Bon, on verra bien.
Arrêt de travail à la maison
Le lendemain (lundi), je n’arrive pas à marcher parce que mon pied est trop douloureux et ma cheville et mon pied ont encore enflé. Cette journée-là, j’ai un peu de température et des étourdissements mais le mardi, ces mauvais effets ont disparu, ce qui m’encourage. On m’a amené mon ordi à la maison pour que je puisse un peu travailler dans la journée, même si je n’ai pas beaucoup de motivation.
Avec la canne que Ladji m’a fabriquée, on dirait une vieille !!
Ce qu’il faut savoir quand même, c’est que de ne pas pouvoir se déplacer facilement ici, c’est compliqué. Déjà pour la bouffe. Au Québec, j’aurais demandé à quelqu’un d’aller me faire une ‘grosse commande’ pour une semaine et l’affaire était réglée. Ici, pas de frigo et avec une température au-dessus de 30 degrés, c’est un peu plus complexe. Alors à tous les repas quelqu’un doit s’occuper de moi !! Par chance qu’ici les gens sont solidaires et que j’ai de bonnes personnes qui m’entourent. J’ai donc des amis qui se sont occupés de m’apporter à manger, qui ont passé le balai chez moi, qui ont fait ma lessive, qui apportaient mon seau à la douche avec un petit banc pour que je puisse m’asseoir pour me laver (ici ce sont les enfants qui utilisent un banc pour s’asseoir à la douche !!), qui m’ont apporté une chaise à la maison (je n’ai pas de chaises chez moi), qui puisaient mon eau, etc. Il y a toujours un ou 2 amis qui ont dormi chez moi au cas où j’aurais besoin d’aide la nuit. La vieille dans ma cour m’a aussi apporté à manger quelques fois, ça a allégé le fardeau de mes amis.
Finalement je suis restée à la maison ainsi jusqu’au jeudi. Pendant ces 4 jours, près de 25 personnes sont venues me visiter, sans compter les gens de ma cour. Tous mes amis sont passés (du moins ceux qui savaient que j’étais blessée), des connaissances, des collègues et même des gens que je ne connaissais pas, des amis d’amis ! J’ai vraiment été impressionnée par toutes ces visites. Presque personne ne savait où j’habitais mais l’information circulait ou bien ceux qui connaissaient amenaient ceux qui ne connaissaient pas. Les gens restaient parfois seulement quelques minutes mais le déplacement me touchait beaucoup. Chacun m’encourageait et me souhaitait ‘meilleure santé’ (je ne sais pas combien de fois on peut entendre ce ‘meilleure santé’ quand on ne va pas bien !) et tous m’ont montré leurs blessures aux tibias. Tous les burkinabés semblent avoir les tibias massacrés ! On me disait qu’ici les membres enflent souvent suite aux blessures. Ce qui était le plus chiant pour moi, c’est que je sentais qu’à l’intérieur du pied, tout était en place. C’est l’enflure qui m’handicapait car je n’arrivais plus à avoir de flexibilité. Quand je me levais, le sang qui descendait dans mon pied me faisait mal. Et ce n’est tout de même pas normal d’avoir le pied enflé ! En plus la peau était hyper tendue, ce qui était désagréable au possible. En ce moment, l’harmattan a commencé à souffler et l’air est très sec. Les lèvres commencent à craquer, les talons se fendillent, la peau s’assèche. Pour mon pied à la peau tirée qui traînait dans la poussière, ce n’était vraiment pas agréable et la peau est devenue hyper sensible.
Le médicament traditionnel
Le mardi, mon ami Youl est arrivé chez moi le soir en me disant qu’il était allé au village dans la journée. ‘Ah bon ? Et pourquoi es-tu allé au village ?’ Parce qu’habituellement, quand quelqu’un de la ville se déplace au village, c’est qu’il y a une raison bien précise. ‘J’y suis allé pour toi.’ ‘Ah bon !?’ ‘Je suis allé chercher un médicament traditionnel, même si tu n’y crois pas, nous on croit à ça ici.’ Si je n’avais pas posé plus de questions, je n’aurais pas reçu plus de détails. Mais ça m’intriguait et j’avais l’impression que ce déplacement cachait quelque chose de plus précis. J’avais finalement raison. Youl trouvait étrange qu’une aussi petite blessure ait fait enfler autant mon pied et que surtout ça ne semblait pas beaucoup s’améliorer. Il se demandait donc si quelqu’un ne m’avait pas jeté un mauvais sort…! Il était donc allé voir un chasseur au village qui a des génies (je n’ai pas réussi à avoir plus de détails sur cette information….) et qui peut préparer un médicament qui éloigne les mauvais sorts et donc les maladies causées par ces mauvais sorts. Je me suis donc retrouvée le soir avec le pied enduit de beurre de karité (le karité est un arbre portant des fruits, à la chair délicieuse, avec lesquels les femmes fabriquent du savon, du beurre, etc.) mélangé à des racines brûlées (pas sur la plaie, dieu merci). Un autre détail important : le mélange devait être fait dans un canari, ou un morceau de canari (le canari est une poterie utilisée pour conserver l’eau au frais) de plus de 3 ans. Malheureusement ou heureusement, le mal n’est pas parti, ce qui signifie qu’on ne m’avait pas jeté de mauvais sort…..
Voilà mon pied gauche enduit de beurre de karité mélangé à des racines brûlées (d’où le noir). Le morceau de canari avec le mélange est posé à droite.
Deuxième passage à l’hôpital de Dédougou
Le jeudi, comme je ne voyais pas d’amélioration ce matin-là, j’ai décidé de retourner à l’hôpital de Dédougou. Un ami m’a amenée en moto en empruntant la moto d’un autre ami, je ne me sentais vraiment pas d’y aller en vélo (il n’y a pas de taxis à Dédougou). Cette fois-ci, j’ai rencontré le chef chirurgien qui a à peine regardé mon pied mais a tout de suite prescrit bandage à l’alcool 90° et antibiotique par perfusion. Il a aussi demandé une radio pour s’assurer que rien n’était cassé : le tibia et le péroné étaient finalement bien en place et en un (2 en fait !) morceau. Le principe à l’hôpital, c’est que le médecin te fait la prescription puis tu pars à la pharmacie (il y en a une à l’hôpital) payer (ici on dit ‘payer’ et non ‘acheter’) le matériel. En fait à la pharmacie, on te remet un reçu et tu dois aller à la caisse de l’hôpital pour payer, tu viens récupérer le matériel à la pharmacie puis tu retournes voir ton médecin. C’est pas mal de déplacements donc vaut quand même mieux être accompagné si tu as du mal à te déplacer ! Et là j’ai été impressionnée par tout le matériel demandé.
Me voici avec le matériel demandé par mon ‘chirurgien’.
Rapidement on m’a dit de me rendre dans une salle de 6 lits où il n’y avait personne. Les salles donnent toutes sur une cour extérieure. Mon ami a nettoyé le cuir du lit et le médecin l’a désinfecté avec de l’alcool avant que je m’étende pour recevoir les soins (bandage + perfusion de l’antibiotique).
Je suis étendue sur mon matelas de cuir à l’hôpital de Dédougou. La perfusion est en cours et mon bandage à l’alcool a été fait.
Départ pour Ouagadougou
Le lendemain matin (vendredi), je devais partir à Ouaga pour notre réunion mensuelle avec Ingénieurs sans Frontières. Je n’avais aucune envie de me déplacer, d’autant plus que mon pied n’allait finalement pas mieux. Je devais donc me taper ce voyage Dédougou-Ouaga d’environ 6 heures (de bus) dont au moins 3 heures sur une route merdique défoncée. De tout le voyage, je n’ai pas pu garder mon pied au sol parce que les secousses me faisaient trop mal. J’ai donc dû tenir ma jambe avec les mains au-dessus du plancher pendant tout le voyage. En plus le bus était complètement plein donc pas moyen d’utiliser une banquette entière pour moi seule. Je m’en suis toutefois sortie pas trop mal. J’ai même réussi à conserver mon habitude de me payer un sandwich aux avocats et un jus de bissap’s à Koudougou, la ville à partir de laquelle il y a du goudron jusqu’à Ouagadougou.
Autobus de Liza Transport International entre Dédougou et Ouaga. Ce jour-là, on avait des chèvres et des poules (dans les cages en bambous) sur le toit. Tous les bagages sont toujours mis sur le toit : sacs, matelas, vélos, motos, animaux,…
Mon hospitalisation à la clinique des Genêts
Une fois arrivée à l’auberge de la cathédrale où on logeait pour la fin de semaine, notre directeur d’Afrique de l’Ouest était là et quand il a vu mon pied et mon inquiétude, il a dit : ‘on part directement à la meilleure clinique de Ouaga’. Bon, d’accord. Là-bas, le choc. Un autre monde, un monde que j’avais oublié en fait, le monde moderne de chez nous, de l’occident. Ça existe, ça, au Burkina Faso ??? Chaise roulante en arrivant. Locaux climatisés. Des murs blancs, blancs je dis, vraiment blancs (le blanc ici est tellement difficile à garder blanc, dans tous les domaines. Que ce soit pour les vêtements, les dalles, la peinture et même la peau des blancs qui est continuellement poussiéreuse et sale !!). Une infirmière qui s’occupe de moi personnellement. Un médecin qui vient me voir et me pose plein de questions dans son sarrau blanc (!). J’étais vraiment sous le choc de voir tout cela. Le contraste avec l’hôpital de Dédougou et en fait avec tout ce que j’avais vu jusqu’à maintenant au Burkina était marquant.
En fait, ce n’est pas la disponibilité et la gentillesse des gens qui m’ont marquée. C’est surtout la qualité et la modernité des soins avec tous les équipements, leur entretien, la salubrité et la propreté qui vient avec ces services. Le médecin m’a toutefois un peu fait peur ce soir-là. Mon pied était dans un sale état. On ne savait pas encore exactement ce que j’avais mais finalement, après quelques tests, on a su que j’avais une infection sérieuse qu’il était grand temps de soigner avec une antibiothérapie. On m’a installée dans une chambre impeccable (encore blanche) partagée (on est 2) avec salle de bain (oui oui, là aussi tout est blanc immaculé !!). J’ai eu rapidement la perfusion au bras, des antibiotiques administrés rigoureusement à heures fixes ainsi que des antidouleurs et un anticoagulant (tout est ‘anti’ tout ici !!), les repas servis au lit (pas de chenilles ni de tô !! des repas un peu entre l’africain et l’occidental), les infirmières qui lavent régulièrement ma jambe, qui prenne ma température et ma pression matin et soir, etc.
Dans ma chambre avec mon premier souper (j’ai eu du mal à utiliser à nouveau une fourchette et un couteau !!) à la clinique des Genêts à Ouaga 2000. Vous avez vu le Lucky Luke au mur ?? Voyez comme tout est blanc. J’hallucine !!
Le quartier de Ouaga 2000
La clinique des Genêts est située dans le quartier de Ouaga 2000. Ce quartier est le quartier bourgeois, le quartier riche de Ouaga. Les rares fois où j’y étais passée avant, j’avais un sentiment mitigé face à ce quartier. Les riches du pays vivent ici dans des maisons démesurément immenses et luxueuses. C’est toujours un peu choquant de voir autant de richesses côtoyer une misère quand même extrêmement présente et palpable au Burkina Faso. La dernière fois que j’étais passée à Ouaga 2000, un troupeau de bœufs était passé juste devant notre voiture, on avait dû s’arrêter pour le laisser passer. J’en avais profité pour prendre une photo, celle que je vous présente ici-bas. On ne voit pas très bien les maisons : elles sont en construction mais je peux vous dire qu’elles seront immenses. Et ce jeune berger qui dirige son troupeau à côté de ces richesses….. Vous me direz ‘s’il a des animaux, c’est qu’il n’est pas si pauvre que cela !’. Mais quand même, quel contraste impressionnant.
Ouaga 2000, un contraste troublant : les plus immenses et riches maisons (en partie en construction) du pays mais Ouaga reste un village...
La santé à 2 vitesses
Et voilà que je me retrouve dans une clinique (privée), une des meilleures du pays, dans Ouaga 2000. Qu’est-ce que j’ai à dire des soins que j’ai reçus aux Genêts ? Que du bien, que du bien parce qu’il n’y a plus de risques pour mon pied, pour ma jambe, pour ma santé et je suis rassurée. Mais qu’est-ce qui se serait passé si j’avais été une simple citoyenne burkinabé de Dédougou (ou de n’importe où ailleurs) ? J’en ai discuté ce matin avec une médecin, une française qui est ici depuis 10 ans. Si j’étais restée à Dédougou et que je n’avais pas reçu l’antibiothérapie de la clinique, l’infection aurait continué à monter et se serait attaquée à mes organes vitaux : reins, foie, cœur. Plus l’infection aurait été avancée, plus il aurait été difficile de la contrôler et moins j’aurais pu trouver les moyens de me soigner dans le pays (déjà dans la clinique où je suis, ça prend parfois quelques jours avant d’avoir un médicament qui doit être difficile à trouver dans la ville). Et quand les organes vitaux sont trop attaqués, on peut en mourir, simplement. À Dédougou, ils ne m’ont pas administré des antibiotiques assez forts et en plus on m’a donné des anti-inflammatoires, ce qui semblait contre-indiqué. La médecin me disait que dans les hôpitaux publics, en général, les médecins essaient de trouver un compromis entre la quantité de soins nécessaires et les coûts reliés à ces soins. Parce que les gens n’ont pas beaucoup et toujours les moyens de payer. Si je vous raconte ce qui serait arrivé si j’étais arrivé trop tard (ou même jamais) à la clinique de Ouaga, ce n’est pas pour m’apitoyer sur mon sort, pas du tout. Tout risque est écarté pour moi maintenant et j’ai reçu des soins excellents et rassurants. Ce qui me crée un profond, un très profond malaise, c’est que je sais qu’aucun de mes amis de Dédougou n’aurait pu se payer les soins que j’ai reçus dans cette clinique. Ne parlons pas de la majorité des producteurs/productrices des villages. La santé à 2 vitesses dans toute sa splendeur ! J’ai beau vouloir m’intégrer autant que je le peux dans ce pays, dans la culture, dans la vie de Dédougou, je suis et je resterai toujours différente de la majorité des gens d’ici. Évidemment j’ai reçu ces soins sous le couvert de mes assurances mais juste de pouvoir se payer des assurances (même si c’est ISF qui a payé, jamais un occidental ne voyagerait sans assurances à l’étranger) c’est un privilège que les gens n’ont pas ici. Et la médecin m’a dit qu’il y avait des gens ici qui mourraient de ce genre d’infection.
La vie des gens simples
À Dédougou, j’ai rencontré des gens géniaux avec qui je passe vraiment de très bons moments. Des gens ordinaires que j’apprends à connaître, de qui je me rapproche peu à peu, avec qui je cause et qui me font parfois des confidences. Le fait d’avoir du temps avec les gens permet de créer des liens qui se solidifient, qui s’intensifient et permet d’approfondir les relations. Quand je dis que les gens sont ‘pauvres’, ils ne sont pas nus sur le bord des rues à agoniser la bouche sèche avec des mouches autour de plaies purulentes. Ce sont des gens actifs qui ont des projets, des rêves, qui bougent, qui travaillent (même si le rythme est très différent ici), qui règlent différents problèmes, qui ont des familles à s’occuper, etc. Mais je sais que certains ne mangent pas toujours à leur faim tous les jours. Je sais que parfois ils n’ont pas l’argent pour payer tel médicament nécessaire pour soigner leur palu (malaria). Je sais qu’ils vont galérer pour trouver 2,50 $ pour payer l’essence d’une petite moto qu’ils ont empruntée à un autre ami pour se rendre pas loin dans un village pour faire un petit job pas trop payant mais mieux que rien. J’ai déjà donné 20 $ à un ami pour payer la chambre d’hôpital de sa femme qui venait d’accoucher. Sa femme avait eu le ‘malheur’ d’accoucher juste après qu’il ait payé la rentrée à l’école de ses enfants… J’ai aussi prêté 20 $ à un ami pour qu’il amène une vieille (sa petite maman=autre femme de son père) à l’hôpital pour un bras cassé. Les gens n’ont que très rarement de l’argent devant eux. Pourtant 20 $, ce n’est rien pour nous. Alors imaginez la clinique dans laquelle je suis actuellement, c’est clair que personne ne peut se payer ces soins ! Des 20 $, je peux en distribuer quelques-uns à gauche et à droite mais si un ami se retrouvait avec mon infection ou un autre truc demandant des soins importants, je ne sais pas comment on pourrait gérer la situation et cette idée me tracasse réellement. Ce n’est pas de l’aide durable que de donner de l’argent comme ça un peu un peu de temps en temps en situation de crise. Je vous avoue que je n’arrive pas à savoir comment faire mieux ou autrement. Comment pourrais-je laisser tomber des amis sur qui je sais que moi je peux compter ?
J’ai des amis qui ont dépensé toutes leurs économies pour la santé. Maintenant ils galèrent parce qu’ils n’ont plus les moyens de bien gérer leur boulot. Par exemple, Abdou ne peut plus acheter de poisson en grande quantité pour le revendre comme il faisait avant ses problèmes de santé, parce qu’il n’en a plus les moyens. En plus, depuis ses soucis de santé, il a en partie perdu sa clientèle. Comment repartir le business ? Les gens vivent souvent au jour le jour ici parce que chaque jour, on ne sait pas si on pourra manger ou si un problème leur tombera sur la tête. En plus avec la crise alimentaire, les prix ont bien augmenté la dernière année, c’est ce qu’on appelle ici ‘la vie chère’. En vivant ici et en causant avec mes amis, je vois toute l’entraide qui existe entre les gens. Un exemple. Ali a emprunté 10 000 francs CFA (25 $) à Youl, je ne sais pas trop pour quel soucis. Plus tard Youl s’est fait voler ses outils pour fabriquer des djembés et il devait attendre qu’Ali lui rembourse le 10 000 pour pouvoir se repayer une tige de métal pour réaliser une commande de djembé qu’il avait eue. Comme Ali n’avait pas l’argent encore, moi j’ai prêté 10 000 à Youl. Un peu après, Abdou n’arrivait plus à payer le loyer de sa poissonnerie et la propriétaire voulait le mettre à la porte. Youl a donc demandé à Ali de prêter 15 000 à Abdou, le 10 000 serait l’argent qu’Ali devait déjà à Youl et plus tard, Abdou pourrait rembourser l’autre 5000 à Ali. Vous voyez le genre ? Il y a toujours de l’argent qui circule ainsi, quand quelqu’un a un peu, il aide un autre qui a besoin. Un jour, Ladji avait avec lui un petit tube et je lui ai demandé ce que c’était. C’était un tube d’Efferalgan (comprimés pour maux de tête). ‘Qu’est-ce que tu fais avec ça ici ?’ Simplement il n’en avait plus besoin puisqu’il avait utilisé un comprimé quand il avait eu mal à la tête et en avait donné quelques-uns ce jour-là à d’autres qui avaient aussi mal à la tête. Maintenant il restait quelques cachets dans le tube alors il voulait naturellement les distribuer à des gens qui pourraient en avoir besoin, au lieu de les conserver chez lui pour une autre fois comme nous on aurait fait… La vie et les problèmes ici sont parfois bien déroutants et interpellants…!!
Juste un autre exemple de la générosité des gens ici. J’ai eu beaucoup de visiteurs à Dédougou mais ici à Ouaga, j’en ai beaucoup moins étant donné que je connais peu de gens dans cette ville. Il y a quand même mon collègue Marcel du travail qui était de passage dans la capitale pour le boulot et qui est venu me visiter 2 fois. La première fois qu’il est venu, il m’a remis une feuille avec un petit mot de chacun de mes collègues au bureau et une enveloppe contenant……de l’argent ! De l’argent, je n’arrivais pas à y croire ! Chacun au bureau a participé et a donné un peu et je me suis retrouvée avec 50 000 francs CFA (125 $), ce qui est énorme ici ! J’ai eu beau lui dire que je n’avais pas besoin de cet argent, que tout allait être payé par les assurances, il n’a pas voulu reprendre l’enveloppe et j’ai bien senti que je devais accepter. Il m’a dit que j’aurais d’autres frais à la sortie et au retour à Dédougou et que donc je pourrais utiliser cet argent. Mais les gens à notre Union, ce sont des producteurs agricoles qui ne reçoivent que des perdiemes (on écrit comment ce mot ??) pour le travail accompli et il y a aussi quelques salariés en poste (comptable, animateur, …). Quand on est volontaire comme moi, on considère qu’on ne reçoit pas de salaire, que le 10 $ que j’ai par jour est une indemnité pour payer mes petits besoins quotidiens. Mais vous savez, les salariés ici gagnent souvent moins que ce que moi je gagne avec mon indemnité ! Et eux doivent faire vivre toute une famille avec ce salaire. Alors ce 50 000 francs m’a semblé un montant énorme très gênant à recevoir.
La tradition
J’ai reçu un message sur mon téléphone hier : un ami à Dédougou était en consultation pour moi chez un marabout. Il y a eu une fausse alerte, il avait compris que quelqu’un m’avait jeté un sort. Finalement ça ne semble pas être le cas. Le marabout a seulement dit que je devais faire sacrifice : tuer un coq rouge, acheter 12 noix de kola et faire brûler de la poudre de fusil de chasseur. Dans 3 jours, je devrais être guérie. Mon ami m’a demandé si j’étais d’accord avant de faire quoi que ce soit. J’ai dit oui. On m’a confirmé hier soir que les sacrifices avaient été faits. De ce que j’ai compris, le coq rouge sera donné aux talibés, les enfants élèves des marabouts qui doivent quêter leur pain dans la rue. Je ne sais pas trop comment tout cela doit se passer, je demanderai des détails à mon retour à Dédougou. Pour les noix de kola (ce sont des noix que les gens croquent et qui ont un effet excitant, moi je trouve le goût de ces noix dégueulasse) et la poudre, je ne sais pas trop, on m’a dit qu’on m’expliquerait après que je sois guérie, avant ce n’est pas possible. Voilà, pour moi c’est la confrontation de la modernité de la clinique des Genêts et des traditions de Dédougou. Je suis en Afrique quand même, alors ce n’est pas la peine de me battre contre les traditions (ce que je n’ai aucune intention de faire, sauf peut-être pour certaines d’entre elles…). Et on ne sait jamais, si ce sacrifice pouvait réellement me guérir, je ne dois pas passer à côté…….!!
Allah ka nogoya kè !!
(meilleure santé)
Erratum
Une erreur s’est glissée dans mon dernier message : le Ramadan a débuté le 1er septembre cette année au Burkina Faso et non le 1er octobre.