« Si
tu veux tuer ton chien, tu l’accuses d’avoir la rage. »
12 décembre 2009
Séjour chez un producteur agricole champion
Le mois de décembre est déjà bien entamé et les producteurs agricoles du Burkina Faso sont dans les champs depuis plusieurs semaines pour les récoltes : maïs, sorgho, petit mil, fonio, sésame, niébé (haricot), coton, arachides, pastèques, calebasses, etc. Moi qui travaille souvent dans les bureaux de mon Union à Dédougou, je me suis dit qu’il était temps que j’aille un peu sur le terrain voir ce qui se passait chez nos membres. Les séjours au village sont très valorisés avec Ingénieurs sans frontières. Dans notre travail, nous appuyons la mise en place et en œuvre de services pour des producteurs agricoles. Nous pensons donc qu’il est important de connaître et de comprendre les difficultés que ceux-ci rencontrent, les défis auxquels ils sont confrontés, la façon dont ils font leurs choix, les besoins qu’ils peuvent exprimer pour mieux réaliser leur travail, etc. Alors quoi de mieux que d’aller sur le terrain et travailler avec un producteur pour mieux percevoir tout cela. Sur place, j’ai réellement pu découvrir des choses que je n’aurais probablement jamais apprises si j’étais restée au bureau ou même si j’avais simplement discuté avec un producteur quelques heures. En séjournant quelques jours chez un producteur, j’ai travaillé avec lui, il m’a fait visiter son exploitation, il m’a parlé de ses projets, de ses rêves, de ses difficultés, parce que nous avions le temps, parce que je me suis vraiment intéressée à son travail, à sa famille, à son village, à sa production, à ce qu’il a vécu et à ce qu’il vit aujourd’hui. On a pu échanger, discuter, dire ce qu’on en pensait et se donner des idées. On a aussi mangé ensemble sa production locale qu’il était fier de m’offrir. On a travaillé ensemble et on a été fatigué ensemble. La confiance s’est installée entre nous et j’ai pu découvrir quelle était la vraie vie d’un producteur burkinabè champion et dynamique qui a plein d’idées et qui travaille comme il peut, avec souvent peu de moyens par rapport à chez nous, pour améliorer ses conditions de vie.
Voilà, je vais vous présenter une partie de la vie de Simon Kadéba et de sa famille.
La famille
Simon est né en 1969 à Wakara où il vit encore actuellement. Wakara est situé à 12 km du goudron reliant Dédougou à Bobo-Dioulasso, près de Bondoukuy ; Wakara est à 80 km de Dédougou. Simon a 2 sœurs et 3 frères et est le benjamin des fils. Il a marié Joséphine en 1991 alors qu’il avait 22 ans et elle, 18 ans. Ils ont eu 6 enfants : les 3 plus vieilles sont des filles et les 3 plus jeunes, des garçons. Les 3 garçons se nomment (du plus vieux au plus jeune) : Nathanaël, Samuel (5 ans) et Éliésé (environ 1,5 an). Je n’ai rencontré que sa fille la plus jeune : Ruth. Les 2 autres filles sont élèves à Dédougou. Une nièce est aussi au village avec eux, Sali. Par les prénoms de la famille, vous pouvez déduire que Simon est chrétien. Il est extrêmement croyant. Tous les matins, la famille se réunit dans le salon pour un 15 minutes de prière pour remercier Dieu de ses bienfaits et pour demander sa bénédiction et sa protection pour la journée qui commence.
Simon
est allé à l’école jusqu’en CM2,
soit l’équivalent de la 4e
année primaire au Québec. Un peu plus tard, il a fait
de la coiffure puis s’est lancé dans la fabrication de
chaises traditionnelles en bois (voir photo) où il a excellé.
Il avait énormément de commandes avec les chaises et
ne manquait pas de travail mais il a un jour réalisé
que ce serait plus rentable pour lui de se concentrer sur
l’agriculture. Il a donc changé de stratégie et
a abandonné la fabrication des chaises. Au départ, il
cultivait en famille, avec son père, un frère et les
enfants de son frère aîné qui lui, était
militaire. La hiérarchie dans tous les domaines (famille,
travail, société) est au Burkina extrêmement
présente. On la sent bien dans les familles où les
plus jeunes semblent parfois être au service des plus vieux.
Simon avait du mal à s’entendre avec son frère
aîné qui n’aimait pas qu’il lui donne ce que
Simon appelle des conseils : « Attention quand tu
laboures avec les bœufs. Quand vous tombez sur une racine, il
ne faut pas trop les faire forcer car tu vas les blesser. »
Son frère n’aimait pas ce genre de remarque. En
réalité, il semblait jaloux du bon travail réalisé
par Simon : ce dernier avait appris à faire un très
beau labour en tenant la charrue à l’arrière sans
que qui que ce soit ne guide les bœufs à l’avant1,
ce qui n’est pas facile. Les méchantes remarques
répétées de son frère aîné à
son égard l’ont poussé à se séparer
de lui. Ils ont donc partagé les terres et chacun a commencé
à cultiver de son côté. Simon cultive
aujourd’hui 22 ha, ce qui fait de lui un relativement
grand producteur du Burkina.
Le frère aîné militaire était décédé à cette époque. Ses enfants qui travaillaient avec la famille n’ont pas accepté d’aller travailler avec le frère de Simon qu’ils trouvaient méchant. Simon a donc accepté de les faire travailler avec lui. Toutefois des langues médisantes ont commencé à dire que si Simon réussissait bien, c’était parce qu’il faisait travailler les jeunes et que lui ne faisait rien. Les jeunes ont même fini par penser et dire la même chose. Simon s’est donc arrangé pour marier les jeunes, leur a donné des terres, leur a construit des maisons puis il est devenu totalement indépendant de sa famille en 1996. À partir de ce moment, il était seul avec sa femme et plus personne ne pouvait dire que sa réussite était due aux autres…
de gauche à droite derrière : Joséphine, Simon
de gauche à droite devant : Éliésé, Samuel, Nathanaël, Ruth, Sali et…le chien !
L’UGCPA
« L’Union, c’est la solution à tous mes problèmes. »
-Simon Kadéba
Les difficultés des producteurs agricoles
Les agriculteurs du Burkina Faso font souvent face à plusieurs difficultés :
manque de moyens financiers pour acheter des instruments de travail (charrettes, charrue, âne pour le transport, bœufs pour les labours, etc.)
difficulté d’accès à des engrais minéraux (peu disponibles et souvent chers)
difficulté d’accès à du micro-crédit qui leur permettrait de mieux s’équiper ou pour réaliser différents projets
peu d’animaux pour fabriquer de la fumure organique
difficultés d’accès à de bons marchés pour la vente de leurs produits
difficulté d’accès à des semences améliorées (semences de meilleure qualité développées pour obtenir de meilleurs rendements)
manque de connaissances pour une bonne gestion de leur exploitation
Simon, comme tous les autres producteurs, a rencontré ces difficultés. Il a su gérer un minimum ses revenus de façon à augmenter peu à peu ses moyens de production. Aujourd’hui, il possède une charrue, une houe manga pour désherber, 2 épandeurs à pesticides, une charrette, 7 bœufs, un âne, etc.
Simon présentant sa charrue et…
|
…ses 2 épandeurs de pesticides. |
Houe manga utilisée pour désherber. |
Simon déposant des pastèques sur sa charrette sous les manguiers. |
Les avantages de l’Union
En 1989, un producteur du village de Simon, membre de l’UGCPA (Union des Groupements pour la Commercialisation des Produits Agricoles)2, est venu le voir pour lui présenter les avantages d’adhérer à cette Union :
un marché assuré : tu t’engages à livrer un certain nombre de sacs de céréales à l’Union qui vend ensuite en gros les sacs de tous ses membres sur les meilleurs marchés ;
des paiements anticipés : pour chaque sac que tu t’engages à livrer à l’Union, tu peux demander 2000 francs CFA3 au moment des semis et 2000 francs CFA au moment des récoltes pour t’aider dans ton travail (paiement de la main-d’œuvre, achat d’équipement, etc.) ; par exemple, l’an dernier, le prix du maïs à l’Union a été fixé à 12 500 francs CFA ; donc si tu avais demandé les 2 paiements anticipés, à la livraison tu recevais 8500 francs CFA pour chaque sac livré pour compléter le prix ;
des formations : à l’Union, si tu t’impliques un peu, tu peux avoir accès à des formations qui peuvent t’aider dans ton travail, comme par exemple pour la production de fumure organique ou le travail post-récolte pour mieux conserver tes céréales.
L’adhésion de Simon
Cette année-là, Simon a hésité à devenir membre et a finalement décidé de livrer quelques sacs seulement à l’Union. Il avait hésité, entre autre, parce qu’un de ses amis lui avait dit qu’il avait vendu, l’année précédente, ses céréales à un très bon prix à un commerçant de Koudougou. Simon avait donc décidé de vendre lui aussi à ce commerçant en espérant obtenir un bon profit. Le prix du commerçant s’est finalement avéré décevant par rapport à ce qu’il espérait : 10 000 francs CFA pour 100 kg de céréales. À l’Union, le prix du sac de 100 kg avait été fixé à 7000 francs au moment des récoltes. Par contre en janvier, le prix a été réajusté et à ce moment, Simon a reçu 3000 francs en plus pour chaque sac livré. « Tu vois Rosanne, 7000 + 3000, ça ne donne pas 10 000 francs ? La différence c’est que le commerçant a mis 4 ans à me payer alors qu’avec l’Union, j’ai reçu le 7000 francs aussitôt que j’ai livré et le complément quelques mois plus tard. L’année suivante, l’Union était toujours là pour acheter ma production. À partir de ce moment, je suis devenu membre et je livre maintenant toute ma production à l’Union, sans hésiter, sans même attendre de savoir à quel prix elle va me payer. »
Simon est en effet un membre très fidèle et impliqué à l’Union. Il a d’ailleurs été élu, en octobre 2008 à la dernière Assemblée Générale, comme membre du bureau exécutif. Il participe aussi à toutes les formations auxquelles il est invité. « Dans ces formations, j’essaie de poser le plus de questions pour apprendre et après, quand je reviens chez moi, je change ma façon de faire pour appliquer ce qui m’a semblé intéressant. »
De nouveaux avantages à l’Union : l’engrais minéral
Être un membre fidèle à l’Union au fil des ans a aussi été payant. L’Union offre de plus en plus de services intéressants à ses membres. Par exemple, depuis la campagne agricole de 2008, l’Union offre des engrais minéraux à crédit à ses membres. Elle répond donc à cette difficulté des producteurs d’avoir accès à des engrais de qualité à un prix raisonnable. Pour vous donner une idée, sur les marchés on peut retrouver de l’engrais pour le cacao (qui n’est pas produit au Burkina) qui n’est pas du tout adapté pour les céréales. Ce service est donc énormément apprécié des membres. « Quand je reçois les sacs d’engrais chez moi, des producteurs non-membres de l’Union viennent me voir. Ils me demandent où j’ai réussi à avoir cet engrais et ils veulent que je les aide : ‘Simon, il faut penser à mon cas, tu sais, ce n’est pas facile. Il faut m’aider pour que je puisse bien produire cette année.’ Je leur dis qu’ils doivent devenir membre de l’UGCPA s’ils veulent recevoir ces aides. »
Grâce à ces engrais, Simon a pu faire 2 choses que peu de gens arrivent à faire. Tout d’abord, il a pu mettre de l’engrais dans son sorgho. « Mon sorgho a bien donné cette année grâce à l’engrais. Les rendements ont augmenté et on voit bien la différence entre le sorgho avec et sans engrais. » Sur la photo, Simon me présente fièrement son sorgho blanc.
La deuxième chose, c’est qu’il a abandonné la culture du coton. La plus grande exportation du Burkina Faso, c’est le coton qui lui rapporte beaucoup. Le coton est appelé ‘l’or blanc’. Le problème, c’est que cet or blanc rapporte beaucoup au gouvernement mais pas tant que ça à ceux qui le produisent. Par contre, pour s’assurer que les paysans burkinabés le cultivent et avec de bons rendements, l’état met à leur disposition de l’engrais à crédit qui les rend dépendants de cette production. Comme l’engrais, de façon générale, est peu disponible et cher, les producteurs trouvent un certain intérêt à produire le coton pour avoir accès plus facilement aux engrais. Je ne sais pas combien de producteurs ont pu me dire ‘je fais du coton pour avoir de l’engrais à mettre dans mon maïs’. Sans engrais, pas de maïs, alors que le maïs est très apprécié pour la consommation et qu’il rapporte à la vente.
Le coton est toutefois extrêmement demandant pour bien le réussir :
tu dois utiliser de l’engrais
Vous pouvez donc entrevoir que, si les producteurs utilisent une partie de l’engrais pour leur maïs, le coton produit de moins bons rendements. Si les rendements sont moins bons, tu gagnes moins et là, il devient aussi plus difficile de rembourser le crédit obtenu pour tes engrais. Mais tu n’as pas le choix de continuer si tu veux avoir des engrais à nouveau l’année suivante pour produire un minimum… Sur la photo, champ de coton pas très réussi….mais pas à Simon.
beaucoup de travail donc beaucoup de temps et beaucoup de main-d’œuvre sont nécessaires
Pour bien produire le coton, tu as aussi besoin de beaucoup de main-d’œuvre, comme il demande un gros entretien et que tout le travail est ici généralement réalisé à la main. Par exemple pour la récolte, les fleurs sont récoltées une à une à la main. Vous imaginez donc le nombre de personnes nécessaire pour récolter quelques hectares de coton !! Si toute cette main-d’œuvre est concentrée sur le coton, ça signifie aussi qu’elle ne travaille pas à l’entretien d’autres cultures. Alors parfois les autres cultures ont au final un moins bon rendement parce que tout le monde était en train de semer le coton et que le sorgho a ainsi été semé en retard par exemple.
Maintenant que Simon ne cultive plus le coton, il peut utiliser sa main-d’œuvre à d’autres travaux agricoles et dans son cas, c’est rentable car il a peu de main-d’œuvre familiale. Les enfants ici aident souvent pour récolter le coton mais les enfants de Simon sont soit trop petits, soit en dehors de Wakara pour leurs études. Il n’a donc pas accès à cette main-d’œuvre bon marché !
De nouveaux avantages à l’Union : le conseil à l’exploitation familiale (CEF)
L’Union
offre aussi depuis cette campagne-ci (2009-2010)4 un service de CEF. Ce service met en action un conseiller qui donne
des formations (voir la photo), anime des ateliers et facilite des
discussions et des échanges entre producteurs sur des sujets
techniques (comment bien cultiver le maïs et le sorgho, comment
utiliser les pesticides et lesquels, etc.) et de gestion (comment
gérer ses stocks, comment calculer un coût de production
et une marge de profit, comment planifier ses activités et ses
dépenses, etc.). Quand le CEF a été proposé
à Simon, il s’est instantanément proposé
pour en être bénéficiaire. Jusqu’à
maintenant, il est satisfait de ce qu’il y a appris. « La
dernière formation sur la gestion des stocks était très
intéressante. Ça nous aide beaucoup à réfléchir
sur comment utiliser les céréales qu’on produit
et finalement à gagner plus tout en s’assurant que notre
famille mangera bien toute l’année. »
Saisir les opportunités
Je pense donc qu’un des éléments de la réussite de Simon est qu’il voit les opportunités qui se présentent à lui et il sait les saisir. Il n’a pas peur d’essayer quelque chose quand il croit que ça peut lui rapporter. Devenir membre de l’Union en est un bon exemple. « Ne pas être dans l’Union, c’est me faire du tord », m’a-t-il dit au cours d’une discussion.
Un entrepreneur
Le riz
Cette année, Simon a cultivé le maïs, le sorgho, le riz, le sésame et les pastèques. Certaines de ses cultures ont donné de très bons rendements, comme le maïs et le sorgho. Pour le riz, il n’a toutefois pas eu de chance. Le riz demande énormément d’eau. Il avait donc décidé, pour la 2e année consécutive, de cultiver le riz dans une zone de bas-fond où l’eau a l’habitude de s’accumuler pendant la saison des pluies. Mais cette année, les pluies n’ont pas été bonnes dans sa région (comparativement à certaines régions où il y a eu des inondations, comme l’expliquait mon message de septembre dernier). Pour la première fois en 10 ans, il n’y a pas eu d’eau dans ce bas-fond. Simon s’attendait à récolter environ 100 sacs de riz mais au final, il n’en a eu qu’une vingtaine. Dans certaines zones, il n’a même rien récolté car les grains de riz ne se sont simplement pas développés. Par contre, en fin de saison des pluies, quand une petite pluie s’est présentée, Simon a sorti les bœufs et la charrue pour aller labourer afin d’enfouir les plants qui n’ont pas été récoltés. Peu de producteurs font ce genre de pratique mais selon lui, là où les cultures ont été enfouies, l’année suivante, tu as de meilleurs résultats.
Champ de riz qui ne sera pas récolté |
Grains de riz au séchage |
Le maraîchage
Les
bas-fonds peuvent être utilisés pour cultiver le riz en
saison des pluies car l’eau s’y accumule.
En saison sèche, ils peuvent aussi être utilisés
pour la culture des légumes. En effet, ce sont des zones où
l’eau n’est souvent pas profonde donc des puits peuvent
être creusés et à la main ou avec une moto-pompe,
les producteurs peuvent avoir facilement accès à l’eau
pour l’arrosage. Simon a pensé à tout cela et en
marchant dans son champ de riz, il m’a montré 3 puits
qu’il a fait creuser récemment dans son bas-fond
(photo). « Même
si moi je n’ai pas le temps, des jeunes pourraient venir
cultiver ici au lieu de ne rien faire pendant la saison sèche. »
Le fumier
Chaque année, les producteurs se cassent la tête pour trouver des engrais minéraux pour fertiliser leurs sols. Un autre engrais possible est la fumure organique. Il n’est par contre pas facile d’avoir du fumier ici car les gens ne possèdent pas énormément d’animaux : ils arrivent donc difficilement à avoir assez de fumier pour épandre sur tous leurs champs. Il faut savoir aussi que les producteurs qui font de l’élevage, contrairement à chez nous, ne gardent pas leurs animaux dans des bâtiments : les animaux sont toujours dehors, sauf peut-être parfois pour les volailles qui peuvent être gardées dans de petits enclos d’un petit poulailler. Il n’y a pas non plus de clôtures protégeant et séparant les champs. Pour éviter que les animaux mangent les cultures, un berger doit les garder : ce sont souvent des enfants qui réalisent ce travail.
Dindon en liberté dans la cour de Simon. |
Porc attaché sous les manguiers. |
Quand les récoltes sont terminées, il est donc avantageux de faire pâturer les animaux dans tes champs. Simon a envisagé une stratégie pour attirer les bœufs divaguant des autres producteurs chez lui. « Je vais garder les tiges de mes cultures et je vais les poser sur des hangars que je vais construire dans mes champs et où je vais garder mes propres bœufs. Au cours de la saison sèche, quand les animaux trouveront difficilement à manger, le soir je vais mettre les tiges dans mes champs. Ça va attirer les animaux autour. Et on sait que ‘là où tu manges, tu dors aussi’. Et là où tu manges et dors, tu chies aussi ! Ça sera bon pour mes sols ! »
Simon a aussi 4 fosses fumières au champ et une près de sa maison. Dans ces fosses, avec sa famille, il dépose tous les déchets végétaux possibles. Il essaie aussi de récupérer les tiges qu’il peut. Par exemple, il a demandé au directeur de l’école près de chez lui d’aller chercher les tiges qu’il avait accumulées sur le terrain de l’école après les récoltes. Tout cela constitue du bon matériel pour mettre dans ses fosses.
Simon debout sur le rebord de ses fosses fumières dans lesquelles certaines plantes ont réussi à se développer !! |
Vaches de Simon broutant dans un de ses champs de maïs récolté |
L’élevage
Simon a vu que l’élevage est très payant. Il a donc plusieurs projets allant dans ce sens. Il veut développer ses élevages de volailles particulièrement, pour la viande et pour les œufs. Il a des poules, des pintades et des dindes. Il a aussi 4 chèvres et quelques lapins. Sa femme s’occupe également de l’engraissement quelques porcs.
Une
partie de sa
volaille grouille autour de la maison. Quand tu manges (dehors), il
faut continuellement surveiller ton assiette pour que les dindes ne
viennent pas picorer quelques grains de ton riz !! Il n’y a
que les pintades qui soient plutôt peureuses. Simon a donc
développé la stratégie de faire couver les œufs
de pintades par les poules. Ces dernières circulent dans la
cours familiale sans soucis et il devient donc plus facile d’attraper
les pintadeaux qui suivent les poules insouciamment !! (photo :
Simon gardant une poule et ses poussins sous un panier dans son
poulailler)
Simon voudrait aussi améliorer l’élevage de porcs de sa femme. Au Burkina, quand on a un élevage d’animaux, l’alimentation n’est en général pas optimisée. On laisse les animaux manger au hasard ce qu’ils trouvent ou on leur donne ce qu’on peut. Simon a l’idée de les nourrir avec du maïs. « Je vendrais le maïs que je cultive à un bon prix et j’achèterais du maïs pour donner aux animaux pendant la période où les prix sont bas. » Il sait par contre qu’il aura une pression des gens autour de lui quand il fera cela : « Tu donnes du maïs à tes animaux alors que moi je ne mange pas à ma faim. » Mais Simon trouve que les gens ne travaillent par assez et qu’après, ils se plaignent qu’ils ne gagnent pas suffisamment. « Pendant la saison sèche, même si tu ne peux pas cultiver, il faut faire autre chose. Il faut travailler au lieu de s’asseoir et ne rien faire ! Les gens travaillent à la va-t’asseoir (au hasard), il faut s’organiser ! »
Les récoltes
Le maïs
Mon séjour chez Simon m’aura permis de visiter son exploitation, de discuter beaucoup et de l’aider dans les récoltes de son maïs. J’avais l’habitude, quand j’étais au Québec, d’essayer d’aller visiter des producteurs pendant les récoltes pour faire un tour dans les moissonneuses-batteuses. Je suis déjà montée dans les plus grosses batteuses du Québec. Je peux vous dire que la réalité au Burkina est très différente !! Le résultat final est pourtant le même, qu’on soit au Québec ou au Burkina : obtenir des grains de maïs de qualité pour les revendre au meilleur prix et faire le plus de profits possible.
Chez Simon, pas besoin de connaître la fonction de tous les boutons de contrôle de la moissonneuse-batteuse ou ceux qui suivent les statistiques instantanées. La majorité du travail est simplement fait à la main… :
un outil utile est le rayon de roue de vélo ; il permet de déchirer le bout des feuilles enveloppant l’épi de maïs afin d’enlever l’enveloppe plus facilement ;
on fait ensuite des petits tas avec les épis tout en avançant dans le champ ; vous comprendrez qu’on doit marcher tout le champ pour récupérer chacun des épis de maïs ;
une fois la journée terminée, quelqu’un va chercher des sacs pour ramasser tous les épis et les amener près de la maison ; je n’ai pas fait ce boulot et je dois humblement avouer que je sais que j’aurais galéré pour transporter un sac plein ! ; c’est un peu la honte parce que les jeunes filles, Ruth et Sali, faisaient souvent ce boulot…
les épis sont ensuite déposés en tas près des séchoirs et Simon réalise un tri : les meilleurs épis seront vendus à l’Union ou seront gardés pour la consommation de la famille alors que les moins bons épis seront utilisés autrement (je sais pas trop, peut-être sur un autre marché) ;
le séchage a ensuite lieu dans des ‘séchoirs’ fabriqués par Simon avec des bois et du grillage ;
une fois le maïs bien séché, Simon payera un contracteur ayant l’équipement (égreneuse) pour égrener son maïs afin de récupérer les grains (je n’ai pas assisté à cette activité) ; les grains secs seront mis dans des sacs qui devront atteindre 102 kg pour finalement être livrés à l’Union.
1- le rayon d’une roue utilisé pour déchirer les feuilles |
3- les sacs remplis d’épis 4- les épis en tas 5- le séchage des épis |
Le sorgho
Les récoltes du sorgho se réalisent un peu différemment de celles du maïs. Quand j’étais chez Simon, je n’ai pas eu le temps de récolter moi-même le sorgho. Simon a toutefois tenu à me faire une belle démonstration pour que je puisse prendre de bonnes photos (et films) pour que je vous présente et explique tout cela !! :
les hommes se mettent en ligne, prennent chacun quelques rangs et avancent en coupant les tiges de sorgho à la base ; les tiges sont déposées au sol sur un seul rang par homme ;
les femmes suivent ces rangs et coupent les panicules de sorgho, c’est-à-dire la tête contenant les grains ; les tas de panicules sont déposés au sol ;
les enfants suivent ensuite pour ramasser les tas de panicules ; ils les déposent sur de grands assiettes qu’ils vont vider à un endroit donné dans le champ ;
Simon va ensuite faire de (gros) tas compacts avec ces panicules pour bien faire sécher les grains ;
quand les grains seront suffisamment secs, le battage pourra avoir lieu ; traditionnellement, les panicules sont déposés au sol sur une ligne ; les hommes se positionnent aussi en ligne près du sorgho, chacun avec un bâton ; chaque homme tape à tour de rôle sur le sorgho et c’est ce qu’on appelle le ‘battage’ ; cette activité permet de séparer les grains des panicules ; les hommes chantent en réalisant ce travail et la cadence des chants leur donne le rythme de battage ! Simon m’a dit que c’était ainsi qu’il faisait encore chez lui (zut, je vais rater ça, je ne pense pas avoir le temps d’y retourner pour assister à ce travail et l’essayer moi-même) ; par contre, plusieurs producteurs louent maintenant des batteuses motorisées pour faire ce travail plus facilement.
Grains de sorgho blancs et rouges |
1- Les hommes coupant les tiges de sorgho en soulevant la poussière |
2- Joséphine coupant les panicules de sorgho |
4- Simon posant fièrement sur son tas de sorgho séchant au champ |
L’avenir
Simon a réussi à taire les mauvaises langues qui disaient qu’il réussissait parce qu’il faisait travailler les autres. Maintenant il travaille avec sa femme, parfois avec ses enfants les plus vieux et avec un manœuvre. Il doit aussi payer des gens de temps en temps quand le travail demande plus de temps, comme pour les récoltes. Il a réussi à se construire une jolie maison pour être bien à l’aise chez lui. Il a des projets pour réussir encore mieux et il veut travailler encore plus : « Les gens me disent : ‘Simon, tu travailles trop, tu vas vieillir vite.’ Est-ce que ça c’est vrai Rosanne ? » Selon lui, gagner un peu plus d’argent lui permettra aussi de vivre dans de meilleures conditions, de pouvoir payer des médicaments au besoin pour lui et sa famille et de pouvoir manger mieux, tout cela lui permettant au final de vivre plus vieux.
Quand il m’a ramenée sur sa moto à la route goudronnée à 12 km de chez lui, il a ralentit à un moment pour demander mon avis : « Rosanne, est-ce que tu crois que je devrais cultiver plus de patates douces ? J’ai eu une vision que je devrais faire cela. » En discutant, il m’a dit que ce qui était difficile, c’était d’avoir accès aux semences. Mais sa femme a cultivé cette année la patate douce en prenant des semences chez son voisin. Alors maintenant ils ont leurs propres semences. Les gens adorent la patate douce et peuvent la payer chère si elle vient d’autres régions. Il y a une forte demande locale car son voisin est le seul du village à la cultiver. Il sait qu’il peut faire beaucoup d’argent avec ces patates. Alors je l’ai encouragé à intensifier cette culture qui me semble prometteuse. « Je ne voulais pas en cultiver cette année mais ma femme a décidé d’en semer. Elle a eu raison finalement car ça va bien donner. »
Très jolie maison de Simon construite ‘avec l’argent des céréales’, comme il dit !
Simon m’a aussi posé beaucoup de questions sur l’agriculture et la vie en général au Québec. Il a adoré ces échanges et m’a dit qu’il avait appris beaucoup de choses avec moi et qu’il allait changer des choses dans son travail. « Ici on dit que si tu travailles après le coucher du soleil, tu es un sorcier. Mais je vois qu’au Québec, il y a des périodes où les agriculteurs peuvent travailler de nuit si c’est nécessaire. Je ne vais pas hésiter par exemple à épandre mes herbicides en début de soirée si c’est la bonne période et que je n’ai pas pu le faire le jour. Comme ça, j’aurai encore de meilleurs rendements. »
Merci Simon !!
On est parti dans un village à une vingtaine de km un soir pour aller sensibiliser les gens sur les avantages de l’Union. À un moment, on était assis dans une cour dans le noir, la nuit était tombée et il commençait à faire frais. Seules les flammes du feu de cuisine nous éclairaient. La famille était là à écouter Simon qui parlait en bwamou, langue que je ne connais pas du tout. Seuls quelques mots français à travers ses phrases me donnaient des indices sur les sujets discutés. Je voyais la famille l’écouter avec attention. À un moment, les gens se sont mis à poser des questions. Simon s’est tourné vers moi et m’a demandé : « Ils veulent savoir comment vous faites pour cultiver alors qu’il fait très froid dans votre pays. » Il avait commencé à leur parler du Canada et de l’hiver que les gens ici ont beaucoup de mal à imaginer. J’ai répondu du mieux que je pouvais à toutes les questions posées. Ça a été un échange vraiment intéressant.
C’est pour des gens motivés, ambitieux, courageux et enthousiastes comme Simon que j’adore travailler ici. Pour lui, l’échange d’idées est intéressant et motivant. « Ce qui me fait mal, c’est qu’il y a des gens qui participent à des visites d’échange (visite de fermes dans d’autres régions du pays ou dans d’autres pays) et au retour, ils ne changent rien à leur propre travail, comme s’ils n’avaient rien appris. » Qui sait, peut-être qu’un jour Simon viendra faire un séjour sur une exploitation au Québec et qu’il en retirera des idées pour améliorer encore plus son travail !
À mon départ, j’ai laissé quelques petits cadeaux pour remercier toute la famille de leur accueil, de leur générosité et de leur ouverture exceptionnelle envers moi. C’était juste normal suite au séjour que j’avais passé là-bas. Je pensais repartir avec un sac léger et pourtant j’ai quitté encore plus lourde qu’à mon arrivée. Simon m’a offert un magnifique bogolan : un drap de coton tissé teint et peint de teinture traditionnelle. Je suis aussi repartie avec du lait frais, des pastèques et une poule !
Merci Simon pour tout !
Rosanne
(à partir de la gauche en sens horaire) Simon et Lamoussa (manœuvre), Joséphine écrasant des arachides sur une roche pour en faire de la pâte, Ruth, Nathanaël
et Samuel accompagné du coq et de la dinde !!
1 Voir la photo de mon message de septembre 2008 sur laquelle on voit la configuration du labour avec les bœufs.
2 Voir mon courriel d’avril 2009 sur mon travail avec cette Union de producteurs et productrices commercialisant en commun leur production.
3 1$CAN ~ 400 francs CFA et 1euro ~ 655 francs CFA. Donc 2000 francs CFA ~ 5$CAN ou 3 euros
4 Voir mon courriel d’avril 2009 sur mon travail avec cette Union de producteurs et productrices et sur le CEF entre autre.